Nous vivons à une époque où certaines personnes semblent exercer une énorme influence sur les événements politiques, sur ce qui est raconté dans les médias et même sur les priorités mondiales en matière de philanthropie. Cependant, nous savons qu’une personne agissant seule, peu importe sa puissance ou son charisme, ne peut s’attaquer aux problèmes sociaux et écologiques complexes actuels. Nos défis à long terme nécessitent un travail collaboratif de grande ampleur dans tous les secteurs, car ces défis tirent leurs racines des valeurs culturelles, sont encodés dans nos organisations et sont mis en lumière chaque jour par le comportement d’innombrables personnes. En raison de leur portée générale, il peut être difficile de savoir comment s’attaquer aux problèmes sociaux ou comment s’adapter lorsque les efforts de changement déployés n’aboutissent pas.

Crédit photo: Social Innovation Generation
Les laboratoires d’innovation sociale offrent un point de départ prometteur pour le travail collaboratif qui cible la source des problèmes sociaux pernicieux. Leur but premier est de proposer une structure lorsqu’une organisation ou un secteur ne peut surmonter à elle seule ou à lui seul un défi complexe et lorsqu’aucune solution ou intervention ne semble pouvoir fonctionner. Les laboratoires sont un lieu d’expérimentation et d’apprentissage continus qui permet à ce que de nouvelles idées et interventions soient élaborées et à ce que de grandes idées d’ailleurs puissent être testées et adaptées. Lorsqu’ils sont utilisés de façon disciplinée dans le but d’en arriver à une mise en œuvre, les laboratoires peuvent étendre leur impact de façon globale.
La fondation de la famille J.W. McConnell finance et soutient une communauté grandissante de laboratoires au Canada depuis plusieurs années (2012). Plus tôt cet été, nous avons réuni un groupe de professionnels de laboratoire de l’Energy Futures Lab de Natural Step, du labis de l’Institut du Nouveau Monde, du MaRS Solutions Lab et de l’initiative WellAhead ainsi que des membres du personnel afin de recueillir les leçons tirées de divers travaux de laboratoire de partout au Canada. Ces laboratoires se penchent notamment sur la transition économique de l’Alberta qui délaisse de façon accélérée les combustibles fossiles, sur le passage à des systèmes alimentaires durables, sur le besoin de relier les problèmes de santé aux déterminants sociaux comme l’accès aux logements et sur les approches proactives visant à limiter l’augmentation des problèmes de santé mentale chez les enfants.
Les laboratoires d’innovation sociale obtiennent de bons résultats lorsque les personnes touchées et celles qui ont le pouvoir de changer les choses prennent part au processus. En général, les laboratoires comportent des phases, y compris la réunion de représentants d’un système donné, la recherche et la redéfinition des principales sources des problèmes, la découverte d’idées prometteuses, la proposition de modèles d’intervention, ainsi que la modification à quelques reprises des solutions sociales générées, leur mise en œuvre et leur application à grande échelle.

Les processus de laboratoire deviennent fructueux lorsque leurs participants variés travaillent pour atteindre un objectif commun en étant ouverts à l’utilisation d’approches perturbatrices et innovantes. Comme Joeri van den Steenhoven du MaRS Solutions Lab l’a dit : « L’émergence dans les laboratoires ne concerne pas l’objectif ultime, mais plutôt la façon de l’atteindre. » Les laboratoires aident les participants à établir des liens entre des éléments isolés d’un système en permettant aux participants d’user de la patience nécessaire à des explorations approfondies pouvant révéler des possibilités jusqu’alors invisibles. En testant de nouvelles approches qui entraînent des répercussions inattendues, les laboratoires encouragent les gens à mettre en œuvre des solutions globales.
Le domaine des laboratoires au Canada se développe grâce aux efforts de nombreuses personnes au pays ainsi qu’à des relations avec un groupe international de professionnels de laboratoire comme ceux de Mindlab au Danemark, de NESTA au Royaume?Uni ou de Kennisland en Hollande. À mesure que le domaine évolue, les leaders et les facilitateurs des laboratoires canadiens reconnaissent la nécessité d’une communauté de pratique au sein de laquelle ils peuvent faire connaître leurs nouveaux apprentissages, leurs défis et leurs différentes approches. Voici certains des principaux thèmes relevés lors de notre récente réunion de professionnels de laboratoire :
1) Le domaine est confronté à des défis continus en ce qui concerne la langue et la structure
Qu’entend?on par laboratoire? La confusion persiste en ce qui concerne la définition de laboratoire d’innovation sociale et la manière dont les différentes approches sont reliées; il semble même exister une véritable « allergie » à la terminologie des laboratoires et de l’innovation sociale. Ces facteurs peuvent nuire à la recherche d’alliés et de participants potentiels.
Il est raisonnable d’affirmer que les laboratoires sont un art et non une science. Les professionnels utilisent une grande diversité de méthodes et de structures. Dans certaines, des éléments essentiels à la réalisation d’un processus de laboratoire peuvent être omis, alors que dans d’autres, des éléments additionnels peuvent avoir été ajoutés. Certaines initiatives, comme WellAhead, ont choisi de se désigner comme « inspirées des laboratoires », car elles mettent à profit la réflexion en matière de conception, la création de modèles et d’autres processus et qu’elles gardent en tête d’avoir une incidence sur la dynamique globale du système. Le Natural Step développe un tout nouveau genre de « laboratoire de passage à la durabilité » (« Sustainability Transition Lab ») par l’ajout de processus solides d’analyse rétrospective de la durabilité qui circonscrivent les discussions en fonction de la capacité de charge de la Terre.

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Certaines personnes voudraient que la réalisation de tout processus de laboratoire se résume de façon générale en « 10 étapes faciles ». Cependant, lorsque les professionnels sont au beau milieu du processus, ils se rendent compte que la conception doit être adaptée et nuancée et que la pratique comprend le suivi des répercussions et la recherche d’occasions pour en arriver à un maximum d’impact. Il ressort de nos discussions qu’une approche fondée sur les spécifications minimales conviendrait mieux pour définir ce qu’est un laboratoire; la définition pourrait être, par exemple, que les laboratoires comprennent des éléments de base, mais qu’ils peuvent différer de façon significative les uns des autres à d’autres égards.
2) De nombreuses stratégies favorisent la participation aux laboratoires
Les participants aux laboratoires ont un rôle déterminant, et les laboratoires ont recours à diverses méthodes de recrutement et de mobilisation, notamment la philosophie de participation de masse de WellAhead et le modèle sélectif d’association de l’Energy Futures Lab selon lequel les personnes présentent leur candidature et s’engagent à offrir de l’argent et du temps dans le cadre de leur participation. La mobilisation au-delà des limites des laboratoires est un thème qui a également été soulevé par de nombreux professionnels de laboratoire. Les deux leçons portent sur la façon de gérer les communications avec le public pendant les expériences en laboratoire et sur la façon de mobiliser le système global durant la phase de mise en œuvre.

WellAhead co-design session.
La composition du groupe de participants peut aussi changer à mesure que les modèles se développent, car ces derniers pourraient nécessiter de nouvelles personnes et de nouveaux points de vue à inclure dans le processus de laboratoire. L’évolution des laboratoires fait naître le besoin de modifier les stratégies de communication, les activités et la structure des laboratoires. L’Energy Futures Lab diffuse un nouveau blogue sur les expériences d’apprentissage, d’évaluation et de changement qu’il mène.
3) Les responsables de laboratoire ne sont pas des facilitateurs neutres
Tous se sont entendus sur le fait que pour les professionnels de laboratoire, il y a une différence entre un facilitateur de processus neutre et un responsable proactif. Les laboratoires et leurs leaders ne sont pas neutres en ce qui concerne l’atteinte des objectifs d’impact. Ils consacrent plutôt leur énergie au problème social qu’ils cherchent à résoudre. Les leaders de laboratoire préparent activement le programme d’action, prennent des décisions importantes relativement aux participants et aux partenaires et proposent des solutions de façon proactive, notamment des initiatives de changement fondamental qui peuvent émerger d’un laboratoire. Plusieurs représentants de laboratoire ont affirmé que les participants demandent une vision et un leadership convaincants de la part de l’équipe responsable en ce qui concerne notamment la diffusion du contenu et la définition de l’orientation du laboratoire. Bien entendu, d’autres questions ont alors été soulevées relativement à l’atteinte d’un équilibre entre les efforts déployés par les participants et la vision des responsables de laboratoire et des partenaires et relativement à d’autres facteurs importants à prendre en considération concernant le pouvoir, l’inclusion et les principes démocratiques qui doivent être transparents dans tout processus de laboratoire (et comme dans toute réunion multisectorielle).
4) À quelle échelle les interventions de laboratoire donnent?elles les meilleurs résultats?
L’équipe de laboratoire WellAhead a porté à notre attention certaines tensions importantes, comme son apprentissage continue pour déterminer la meilleure échelle à laquelle le travail doit être effectué pour favoriser le bien-être mental et émotionnel dans les écoles. WellAhead a élaboré son intervention initiale en fonction d’une participation de masse pour recruter divers membres des écoles et des communautés de six conseils scolaires de la Colombie?Britannique. Comment faut?il procéder pour son application à grande échelle? De quelle façon le bien-être peut?il être intégré de façon judicieuse dans le programme et la pratique à l’échelle provinciale, et comment les efforts d’innovation en Colombie-Britannique peuvent?ils être mis à profit pour influencer le travail partout au pays? Une partie de la réponse consiste à effectuer une démonstration de faisabilité, et l’équipe cherche aussi activement à obtenir de bonnes données sur l’impact provenant des modèles de différentes pratiques de bien-être, tout en évitant d’accabler les participants à court de temps avec de lourds processus d’évaluation.
5) Quel est le rôle optimal de l’équipe McConnell en tant que source de financement et de soutien des laboratoires?
Dans un esprit de réflexion sur notre propre impact, nous nous sommes aussi posé des questions pour examiner notre propre pratique. Parmi celles-ci, notons : « Comment savoir qu’un laboratoire est le meilleur processus à utiliser, car comme la citation connue le dit, « si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou’’? » De plus, en tant que source de financement principale des laboratoires d’innovation sociale au Canada, « comment pouvons-nous soutenir le travail des laboratoires qui reçoivent nos subventions tout en les incitant à s’associer à de nouveaux partenaires financiers pour éviter qu’ils dépendent exclusivement de nous en ce qui a trait au maintien et à la mise en œuvre de leurs efforts? » Nous continuerons à réfléchir à ces questions avec nos partenaires et les titulaires de subvention et ferons évoluer notre travail en conséquence.
L’avenir des laboratoires
Dans l’ensemble, c’est une période particulièrement intéressante pour les laboratoires au Canada, car il s’en crée de nouveaux pour s’attaquer aux problèmes à l’échelle du pays. Il ne s’agissait pas de la seule réunion récente de professionnels de laboratoire au Canada. En juin, la fondation McConnell, CityStudio et Changing Systems Group ont tenu un événement à Vancouver pour dresser le portrait du travail effectué par les laboratoires de la Colombie?Britannique au cours duquel la boursière en innovation sociale de la fondation McConnell, Cheryl Rose, a présenté l’approche qu’elle a adoptée pour le laboratoire du WISIR. Nous avons aussi annoncé l’initiative de formation LabWise qui vise à soutenir les laboratoires hybrides fondés sur des partenariats entre le gouvernement, les collectivités et les universités du Canada.
En ce qui concerne l’avenir, nous voyons la possibilité d’utiliser les laboratoires pour favoriser l’inclusion sociale et la résilience dans les villes du Canada ainsi que la croissance des laboratoires gouvernementaux, comme l’Alberta Colab, pour s’attaquer aux défis complexes du pays. L’écosystème des laboratoires continue de croître, tout comme la communauté de professionnels, et chacun peut apprendre de l’autre. Pour en savoir plus, visitez la page d’Innoweave sur les laboratoires d’innovation sociale, et restez à l’affût. Des histoires seront diffusées sur ces expériences et d’autres expériences en cours.