Il y a des années, un groupe d’organismes canadiens se réunissait pour parler d’une priorité commune dans l’octroi de fonds : les systèmes alimentaires durables. Venus de tout le pays, les membres de ce collectif informel de subventionnaires ont alors cherché le meilleur moyen de partager leurs apprentissages et, parfois, d’appuyer des partenariats stratégiques en vue d’approfondir leur impact.
Au début de cet été, le groupe a commandé une évaluation de haut niveau du paysage du système alimentaire canadien afin d’éclairer son travail. À titre de boursière en innovation sociale de la fondation McConnell, volet des systèmes alimentaires durables, j’ai eu la chance unique de réaliser des entrevues pour étayer cette évaluation menée par Eco-Ethonomics.
J’ai notamment posé les questions suivantes : Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans le système alimentaire canadien? Quels sont les leviers essentiels du changement? Pour un changement durable, quel est le moyen le plus efficace de collaborer entre secteurs et régions?
J’ai parlé à 22 leaders, acteurs et influenceurs dotés d’un éventail d’expertises dans notre système alimentaire national, dans tous les domaines de travail – production, transformation, distribution et industrie – et dans tous les secteurs – universitaire, sans but lucratif, privé et gouvernemental. Il en est ressorti des thèmes incontournables.
Malgré le vieillissement rapide de la population agricole au Canada, la flambée du prix des terres et les coûts de mise en conformité anticipés risquent de décourager la prochaine génération de se lancer en agriculture. Ces coûts et la souplesse organisationnelle requise pour y répondre entravent souvent le succès à long terme des petites et moyennes entreprises (PME). De plus, la concentration des grandes sociétés empêche les PME de se tailler une place concurrentielle dans le secteur alimentaire.
Les personnes interrogées notent que l’industrie alimentaire est largement tributaire du carbone dans les processus de production et de distribution alimentaires, et suggèrent d’écologiser l’agriculture classique. En ce qui a trait à la viabilité sociale du système alimentaire, l’incidence démesurément élevée d’insécurité alimentaire dans les collectivités autochtones et le manque de reddition de compte de la part des employeurs quant aux droits des travailleurs migrants et réfugiés font obstacle à la résilience et à l’inclusivité du système alimentaire. Ces questions reflètent bien la marginalisation politique, économique et sociale de ces groupes de la collectivité à l’échelle macro. Un appui ciblé dans le secteur alimentaire pourrait modifier radicalement les systèmes et les résultats actuels.
Si les points de vue sont variés sur les obstacles qui freinent le développement durable du système alimentaire canadien, le consensus est plus large quant aux leviers du changement. Politiques, éducation, plaidoyer, incitatifs financiers sont tous de puissants leviers : l’accès à des programmes de littéracie alimentaire et l’intégration de nouvelles structures favorisant l’approvisionnement durable dans les institutions sont des projets clés pour catalyser l’impact. Les personnes interrogées notent pour la plupart qu’une politique alimentaire nationale fait partie des piliers d’un système alimentaire durable au Canada.
De même, elles estiment que l’investissement en vue de rétablir les chaînes d’approvisionnement et de créer des solutions de rechange évolutives aux chaînes d’approvisionnement classiques – centres de distribution alimentaire et incubateurs agricoles, par exemple – renforcerait la viabilité de notre système alimentaire. La création de ressources accessibles et concrètes, et de mesures incitatives favorisant les pratiques durables dans l’agriculture classique à vaste échelle sont aussi d’importants leviers du changement qui atténueraient les conséquences externes négatives de l’industrialisation de l’agriculture, notamment l’appauvrissement du sol et la production excessive de déchets.
C’est un défi majeur de commencer à comprendre le système alimentaire canadien, qui reflète lui-même l’interaction entre tant d’autres systèmes, d’autres acteurs et d’autres forces. Au cours des 22 entrevues, c’est avec gratitude que j’ai reçu cette somme de sagesse. J’en suis ressortie avec des réponses, mais plus important encore, avec une nouvelle série de questions audacieuses et stimulantes.
Et il y a une chose dont je suis maintenant certaine : pour aborder n’importe quel système, il faut déclencher le dialogue! Suivons-le ensuite où il nous mène et les questions nous porteront plus loin.