Billet de blogue rédigé par Nick Saul, président et directeur général de l’organisme, Community Food Centres Canada
La première chose que l’on remarque dans la publicité est le doigt que le mannequin tient de manière suggestive entre ses lèvres et ses ongles peints en alternance orange et taupe. Le slogan dit : « Finger Lickin’ Good », que l’on peut traduire par « Bon à s’en lécher les doigts ». J’apprends rapidement qu’il s’agit d’une publicité pour la nouvelle gamme de vernis à ongles comestibles de KFC, offerte en deux saveurs de poulet : original et piquant. C’est sans honte que j’admets que cette publicité toxique du géant de la restauration rapide a presque fait naître en moi, un éternel optimiste, un sentiment de désespoir quant à l’état de notre système alimentaire.
J’imagine que ça ne devrait pas me surprendre. La manière dont nous faisons actuellement transiter la nourriture du champ à la table semble souvent avoir pour but de nous rendre malades, d’endommager la planète et de créer des divisions parmi les citoyens. Les géants de la restauration rapide du monde entier dépensent des milliards de dollars par année pour créer en nous une dépendance au gras, au sucre et au sel (les spécialistes en marketing qui créé le concept du vernis à ongles comestible ont dit au New York Times que le produit visait à rappeler aux jeunes le goût délicieux et les bons moments offerts par la marque). Les multinationales agricoles continuent de croître et deviennent de plus en plus voraces, mettant sur la touche les approches régionales à faible impact qui n’utilisent pas de produit chimique. Et comme nous pouvons le constater chaque jour chez Community Food Centres Canada, quatre millions de Canadiens ont de la difficulté à simplement mettre de la nourriture sur la table.
Malgré tout cela, et même malgré ce vernis à ongles à saveur de poulet qui est de mauvais présage, je continue de penser qu’il n’est pas nécessaire que l’avenir de l’alimentation soit si sombre. Un monde meilleur est à notre portée, à condition de pouvoir mobiliser assez de gens pour le créer.
Bien sûr, une révolution conceptuelle est en marche depuis quelque temps. Des agriculteurs, chefs, cuisiniers, foodies, apiculteurs, réformateurs du domaine de la santé et défenseurs de personnes à faible revenu jouent le rôle du canari dans la mine de charbon, sonnant l’alarme quant à la nature non durable de ce système alimentaire gonflé, inéquitable et malsain. Le nombre de marchés fermiers, d’agriculteurs soutenus par la communauté et de restaurants affichant un menu local a explosé. De plus en plus de gens jardinent, mangent localement et s’efforcent de réapprendre des arts culinaires perdus.
Cependant, des choix individuels ne suffiront pas si nous voulons réellement que le système alimentaire change de manière systémique. Il est crucial de dépasser les choix individuels et d’atteindre la sphère publique pour offrir à tous un système alimentaire plus sain. Nous devons agir collectivement et faire pression sur les gouvernements afin qu’ils utilisent leurs pouvoirs réglementaires et législatifs pour mettre l’accent sur la santé, la durabilité et l’équité.
Certains signes indiquent que l’on commence à entendre les canaris chanter dans cette sphère plus vaste. La Ville de Philadelphie a récemment décidé d’imposer une taxe municipale sur les boissons sucrées : la « taxe des boissons gazeuses ». Une partie des revenus de cette taxe sert à améliorer des parcs, des centres communautaires et des écoles. Aussi, de plus en plus de voix s’élèvent au Canada pour convaincre le gouvernement de fixer un revenu de base, ce qui aiderait à garantir que les gens marginalisés aient accès à de la bonne nourriture.
Chez Community Food Centres Canada, nous avons invité les gens à se joindre à un mouvement de citoyens concernés et obtenu une réponse enthousiaste, réunissant ainsi des communautés à faible revenu et d’autres intervenants qui souhaitent une solution de rechange pour l’avenir. Au cours des quatre dernières années, nous avons mis sur pied sept nouveaux Community Food Centres (et ça continue) au Canada. Nous avons également réuni plus de 90 organismes dans le cadre de l’initiative « Tous ensemble pour de la bonne nourriture » afin d’imaginer un système alimentaire sain, durable, inclusif et équitable. En collaboration avec d’autres joueurs progressifs du milieu, nous élaborons une approche qui tient compte du pouvoir du changement individuel à petite échelle, comme se nourrir d’aliments sains et cultiver sa propre nourriture, mais vise également une réelle et profonde transformation de notre système alimentaire.
Je suis conscient que cela ne va pas arriver du jour au lendemain. Il faut du temps pour changer les choses. Mais les enjeux, c’est-à-dire la santé et le bien?être de la population et de la planète, sont trop importants pour se laisser mettre sur la touche par du vernis à ongles comestible ou le manque de vision de certains actionnaires et politiciens.
L’ancien président américain Franklin Delano Roosevelt a dit : « Je suis d’accord avec vous. Je veux le faire. Maintenant, forcez-moi à le faire. » Il ne faut pas oublier que les gens ont du pouvoir. C’est en réalité toujours grâce à eux que la société change. Alors, luttons pour l’avenir que nous voulons. Lorsqu’il est question de nourriture, nous sommes tous responsables de ce que nous mettons sur la table.
Quel est votre plat réconfortant?
Pasta.
Vers qui devrions-nous nous tourner pour de l’inspiration, des idées et une vision à propos de l’avenir de l’alimentation?
Gardons à l’œil les organismes, les projets, les nations et les gens qui montrent qu’un monde meilleur est possible, qu’il s’agisse de collectifs axés sur les gens et les terres (West?End Food Co-op), de programmes subventionnés de fruits et de légumes (au Brésil), de petites victoires concernant le salaire minimum (Seattle) ou de médecins dévoués établissant un lien entre la pauvreté et des problèmes de santé, et exigeant une meilleure politique publique (Health Providers Against Poverty). En nourrissant le bien et en amenant de bonnes idées dans la sphère publique, nous réussirons à tourner le dos à un système alimentaire qui a prouvé sans l’ombre d’un doute que sa date d’expiration était arrivée!
Ce blogue fait partie de la série L’alimentation au futur. Nous voulions savoir à quoi ressembleront les aliments du futur? Où allons-nous, où voulons-nous aller et que pouvons-nous faire pour changer les choses? Au cours des six prochains mois, nous tendrons le micro à 12 penseurs en matière d’alimentation au Canada pour tenter de répondre à ces questions cruciales.
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