Par Pam Chookomoolin.

Crédit photo: Brandon MacLeod
J’ai lu un jour qu’il était impossible de réaliser de grandes choses sans connaissance. On dit que le savoir est synonyme de pouvoir. Mon propre cheminement vers l’illumination et l’habilitation a mené à une guérison personnelle et communautaire grâce à deux des outils les plus puissants que nous connaissons : les histoires et le partage.
J’ai fait mes premiers pas le long de ce chemin au printemps 2015 en m’inscrivant au Indigenous Reporters Program. L’épaisse couche de glace sur la rivière Winisk commençait alors à fondre et l’eau recommençait à couler le long de ma ville natale de Peawanuck en Ontario, qui se trouve à 32 kilomètres en amont de la baie d’Hudson. Celle?ci est l’une des 13 communautés éloignées de Premières Nations du nord de l’Ontario où ce programme a été mis sur pied par l’organisme Journalistes pour les droits humains (JDH).
Le journalisme est devenu pour moi un outil puissant qui me permet d’écrire et de partager mes histoires avec mes voisins, ma communauté et des Canadiens de partout au pays. Il m’a permis d’acquérir de nouvelles connaissances et m’a donné l’occasion de développer mes capacités. Il m’a également offert la possibilité de faire partie du paysage changeant des médias canadiens, un paysage qui commence lentement à refléter l’histoire et les données démographiques réelles de notre pays, et de participer à la guérison d’une nation.
Je n’ai pas toujours été capable de voir le portrait global ou de comprendre le rôle indispensable que peuvent jouer les journalistes autochtones dans le processus de réconciliation en partageant des histoires écrites selon leurs points de vue. En m’inscrivant au programme, je pensais seulement apprendre de la théorie journalistique. Mais après quelques semaines, et grâce une formation pratique, nous en étions déjà à partager des histoires et à discuter de l’incidence positive que peut avoir le journalisme.
Au cours des six dernières années, JDH a réalisé deux études sous le titre Buried Voices. Celles-ci portent sur la couverture des peuples, des cultures et des questions autochtones dans les médias ontariens. Elles montrent que la population autochtone est en réalité drastiquement sous-représentée, mais aussi mal représentée. Entre 2010 et 2013, des personnes d’origine autochtone ont été mentionnées en moyenne dans seulement 0,28 pour cent de tous les articles publiés dans la presse électronique et la presse écrite. La population autochtone de l’Ontario représente pourtant environ 2 pour cent de la population totale de la province. En 2013, une des études a révélé que 39 pour cent des articles portant sur des questions autochtones étaient négatifs, la plupart venant d’éditoriaux et de chroniques publiés durant le mouvement Idle No More.

Duncan McCue (crédit photo: Kevin Van Paassen)
Ces constats n’ont pas étonné Duncan McCue, un journaliste de longue date à la CBC et l’animateur de l’émission de radio Cross Country Checkup. Monsieur McCue appartient à la bande des Chippewas de Georgina Island et possède plus de 15 ans d’expérience dans le monde du journalisme.
Il a toujours trouvé décourageantes les excuses répétées dans les salles de nouvelles pour éviter de couvrir les questions et les peuples autochtones : « ce genre d’histoires n’attire pas de public », « ça n’intéresse pas les gens » ou « c’est toujours la même histoire ».
« Il n’est pas surprenant que les personnes non autochtones entretiennent des stéréotypes à propos des Premières Nations si elles ne trouvent pas d’information sur ces dernières dans les médias », nous a dit monsieur McCue lors d’une entrevue réalisée devant le siège social de la CBC à Toronto.
Ce dernier a toutefois observé un changement important au cours des trois dernières années grâce à la création et au développement de CBC Indigenous et de plateformes pour diffuser les histoires autochtones.
De 2013 à 2016, le ton dans les médias a commencé à changer, passant d’un ton principalement négatif à un ton beaucoup plus neutre. Le nombre d’articles traitant de personnes ou de questions autochtones a notamment connu une légère hausse, pour atteindre 0,5 pour cent de tous les articles publiés en Ontario en 2016, comme l’indique le plus récent rapport de JHR.
Mais qu’est-ce qui a réellement changé?
Revenons au mouvement Idle No More, qui a débuté en 2012. Les médias sociaux ont joué un rôle fondamental dans la couverture et le dynamisme de ce mouvement, les journalistes et les conteurs contournant les médias conventionnels pour faire connaître leurs histoires. Monsieur McCue dit qu’il se rappelle des personnes autochtones envoyant des tweets et publiant sur Facebook de manière incessante pour parler du mouvement. La même chose s’est produite plus récemment pour la couverture du camp Unis’tot’en, de Muskrat Falls et du mouvement de protestation contre le Dakota Access Pipeline.
On a aussi pu observer une tendance semblable dans le dossier des femmes autochtones disparues ou assassinées. Des récits ont été partagés sur les médias sociaux, principalement par des militants et des organismes de femmes autochtones, avant que les médias de masse entament leur couverture.
Aux dires de monsieur McCue, « la puissance des histoires partagées sur les médias sociaux force les médias de masse à emboîter le pas. »
Un an après le début du mouvement Idle No More, le diffuseur national de langue anglaise du pays a créé la plateforme numérique d’abord appelée CBC Aboriginal et aujourd’hui connue sous le nom de CBC Indigenous.
Mais les médias conventionnels ont un rôle à jouer pour que le nombre d’articles sur des questions autochtones augmente considérablement et que la couverture encourant celles?ci s’améliore. « C’est l’éducation qui va amener le changement », selon monsieur McCue. « Plus les écoles de journalisme proposeront du contenu autochtone, plus nous pourrons voir une nouvelle génération de journalistes mieux outillés pour parler des questions autochtones. »
Les médias canadiens comptent désormais plus de journalistes et de conteurs autochtones, ainsi qu’un plus grand nombre de publications spécialisées, comme APTN et Wawatay News. Il existe aussi de nouvelles plateformes, comme Red Rising Magazine et Working It Out Together.
Il est vrai que de nombreux journalistes autochtones ont déjà franchi les obstacles qui se sont présentés sur leur chemin. Par contre, un programme de formation communautaire comme le Indigenous Reporters Program ne fera qu’aider les choses. Et plus que jamais, des médias et des organismes sans but lucratif offrent des stages et des bourses pour soutenir une nouvelle génération de journalistes autochtones.
Alors qu’un grand nombre de gens souhaitent un changement et une réconciliation, monsieur McCue nous rappelle que cela n’arrivera pas du jour au lendemain : « Ça va exiger du temps, des ressources soutenues et un engagement. »
Nous allons aussi avoir besoin de la prochaine génération, c’est?à?dire des jeunes. « Je suis tellement content lorsque je vois un jeune autochtone raconter son histoire », dit-il. « Ça me donne espoir de voir des jeunes commencer à comprendre la puissance des histoires et à quel point elles sont importantes ».
Les histoires qui parlent des Autochtones et qui sont racontées par ces derniers contiennent un savoir profondément ancré dans notre culture, nos traditions et notre traumatisme. Elles ont le pouvoir de guérir et de redéfinir notre peuple et son histoire. La compréhension est amorcée et la réconciliation s’en vient, lentement, mais sûrement. Et à la base de tout ça, il y a nos histoires.
Pam Chookomoolin est journaliste et mère de deux enfants. Elle habite à Peawanuck en Ontario. Elle a récemment terminé le Indigenous Reporters Program de l’organisme Journalistes pour les droits humains. Elle publie désormais son travail dans divers journaux et magazines. Elle travaille aussi pour la Première Nation Weenusk comme agente de prévention du diabète, elle est membre du 3e Groupe de patrouille des Rangers canadiens et elle s’implique activement dans sa communauté comme bénévole.