Ça fait un an et demi (OK, peut-être deux ans…) que je suis à élaborer la stratégie de la fondation en matière de santé mentale chez les enfants et les jeunes. Cet élément du cycle de panarchie est affectueusement qualifié à l’interne de promenade dans les bois – le temps passé à saisir le domaine et les acteurs, les difficultés et possibilités majeures, et les modes d’intervention philanthropique susceptibles d’exercer l’impact le plus important. Cette phase d’exploration est « une période importante pour réfléchir aux dynamiques que vous pressentez afin de pouvoir énoncer l’environnement et les enjeux de manière adéquate » avant de plonger dans l’action. Pour moi, cette étape du travail fut à la fois une source d’inspiration et… disons, de malaise. Je m’explique.
J’ai amorcé la promenade sans idées préconçues quant à la destination – un état d’esprit qui s’est traduit par un tas de questions ouvertes et un vaste éventail d’enjeux à considérer. J’ai parlé à plusieurs personnes passionnées ayant consacré leur vie à améliorer la santé mentale et le bien-être des jeunes. Ensemble, ils m’ont dressé un portrait complexe du système actuel. Tout ce temps consacré à la recherche et à la consultation fut extrêmement utile au processus – ça m’a permis de considérer le système à partir d’un ensemble de points de vue différents.
Mais j’avoue que ce fut aussi quelque peu angoissant. Pour une personne axée comme moi sur les résultats (parions que plusieurs vont se reconnaître ici!), il n’a pas été facile de consacrer tant de temps au processus. J’ai eu longtemps l’impression qu’il n’y aurait jamais de lumière au bout du tunnel. Plus j’apprenais, plus je mesurais mon ignorance – une angoisse qui me forçait à approfondir davantage en même temps qu’à élargir ma réflexion. Ce ne fut pas non plus un processus linéaire : dès que j’avais l’impression d’arriver à un champ d’action possible, quelque chose (une conversation, une lecture, une expérience) m’incitait à adopter une autre optique… et j’étais une fois de plus ramenée à la case zéro.
Juillet 2014 a marqué un tournant. Nous avions commencé à cibler les écoles comme cadre où améliorer le bien-être des jeunes. À la suite d’une rencontre nationale tenue le mois précédent, nous avons commencé à explorer la façon dont un lab d’innovation sociale pourrait servir de plateforme à notre travail dans le domaine. « Hourra! On avance! » me suis-je dit. Mais si je voyais approcher un peu plus l’orée du bois, ce stade du travail m’a aussi ouverte à un tout nouvel ensemble de vulnérabilités.
Plutôt que de choisir le repli – rester sagement au bureau, formuler un cadre propret –, nous avons délibérément opté pour une consultation publique à ce stade de la conception. Si nous voulions une plateforme de lab efficace, il fallait l’éclairage des participants éventuels : éducateurs, élèves, administrateurs scolaires, décideurs, experts en santé mentale et autres intervenants. Cela impliquait de présenter aux gens des idées encore incomplètes, même pour nous. J’ai donc essayé tant bien que mal d’expliquer clairement la forme que pourrait prendre un lab, ou même de répondre à des questions de base sur la structure, l’ampleur du projet et le budget. Nous imaginions au fur et à mesure. Même si chaque atome de consultation éclairait notre réflexion, c’était aussi l’étalage public de notre incertitude.
Au bout du compte, tout ce processus en a vraiment valu la peine. J’ai appris que pour s’ouvrir vraiment au point de vue de l’autre, il ne faut pas que le sien soit tout à fait arrêté. J’ai appris ce que cela veut dire en pratique d’écouter vraiment les gens et je me suis donné le droit de remettre en question mes propres réflexions, même si ça impliquait de reculer de quelques pas. Nous sommes emballés d’être là où nous en sommes, et impatients de vous donner plus de détails dans les semaines et les mois à venir. D’ici là, qu’en pensez-vous? Avez-vous déjà eu l’impression de vous perdre dans un processus? Quelles sont vos réflexions sur la tension qui oppose transparence et vulnérabilité?
26 mars 2015