Article d’invité par Isabelle Mailhot-Leduc, Coordinatrice, Systèmes alimentaires durables, Université Concordia
Alors que j’écoute la radio d’une oreille en me préparant à souper, mon attention s’arrête soudain sur les paroles du reporter. Je monte le volume de la radio. On parle de cette manifestation qui a eu lieu plus tôt dans la journée devant une grande usine de transformation laitière à Montréal. Une cinquantaine de producteurs laitiers s’y sont réunis pour dénoncer l’utilisation du lait diafiltré provenant des États-Unis dans la fabrication industrielle de produits laitiers. Le lait diafiltré est un produit qui a été filtré à plusieurs reprises pour obtenir un liquide ultra protéiné. On peut aussi le retrouver sous forme de poudre. À la frontière, le lait diafiltré est considéré comme un ingrédient, et échappe ainsi aux tarifs douaniers imposés au lait. Les grands transformateurs se réjouissent de cette situation, car le lait diafiltré leur permet de faire des économies. Il n’y a pas que son prix qui soit compétitif. Vu sa haute teneur en protéine, il est aussi plus performant que le lait québécois pour la production industrielle de yaourts et de fromages. Mes pensées s’arrêtent sur cette expression: du lait plus « performant ».
Deux mois plus tôt, toujours dans ma cuisine, la radio allumée au même poste, j’écoutais un reportage sur le « fromage de lait de vache de race canadienne ». Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec venait de reconnaitre à ce produit du terroir le statut d’appellation réservée. On souhaite que l’appellation réservée encourage les producteurs à élever cette race laitière, aujourd’hui menacées de disparition, et génère l’engouement d’une clientèle gourmande et locavore. Il faut préciser que les vaches de race canadienne ont dominé l’industrie laitière de la province jusqu’à la moitié du 19e siècle. Leur déclin s’est amorcé avec l’industrialisation du secteur et l’arrivée de races plus « performantes »…
Écoutés bout-à-bout, ces deux reportages donnent selon moi un portrait de ce à quoi le système alimentaire de la prochaine génération aura l’air: un monde profondément façonné par deux mouvements contraires. Ces deux mouvements, ce sont l’ouverture des marchés et la déréglementation d’un côté, et la poursuite d’un idéal de souveraineté alimentaire de l’autre. Vous l’aurez compris, le lait de vache de race canadienne m’inspire beaucoup plus que le lait diafiltré.
Depuis un peu plus d’un an, j’ai la chance de travailler à la valorisation des aliments québécois auprès des services alimentaires de l’Université Concordia. Ce travail est incroyablement riche en apprentissages. Mesurer le pourcentage d’aliments locaux achetés par nos services alimentaires est en soi un défi, car cela nécessite de débusquer l’origine souvent nébuleuse des produits commandés. Dénicher un fournisseur de bœuf québécois, quand le prix du bœuf albertain et australien est autrement plus attractif, est un défi additionnel. Or, chaque petite victoire rend son lot d’espoir.
Le système alimentaire de la prochaine génération sera rempli d’incohérences, comme le laisse présager ces reportages radiophoniques sur la production laitière que j’ai librement raboutés ici. Or, sachant que les inscriptions aux programmes scolaires en agriculture sont en hausse partout au Québec, je regarde du côté de la relève agricole pour trouver idées et visions sur l’avenir de l’alimentation. Le projet Banque de Terre, qui jumelle aspirants-agriculteurs et propriétaires fonciers, m’inspire beaucoup. Les projets en alimentation durable et en agriculture urbaine qui foisonnent à l’Université Concordia donnent aussi à rêver.
J’éteins la radio pour mieux déguster la soupe chaude que je verse dans mon bol.
Vers qui faut-il se tourner pour trouver inspiration, idées et vision sur l’avenir de l’alimentation?
Le projet Banque de Terre, qui jumelle aspirants-agriculteurs et propriétaires fonciers, m’inspire beaucoup.
Quel est votre aliment-doudou?
Mon plat réconfort : un potage aux panais, concocté à partir de mon dernier panier bio hivernal.
À propos de l’auteure:
Titulaire d’une maîtrise en sociologie et impliquée dans le milieu de l’alimentation durable, Isabelle Mailhot-Leduc travaille aujourd’hui à l’Université Concordia, où elle soutient la mise en place de pratiques d’approvisionnement local au sein des opérations de services alimentaires institutionnelles.
Ce blogue fait partie de la série L’alimentation au futur. Nous voulions savoir à quoi ressembleront les aliments du futur? Où allons-nous, où voulons-nous aller et que pouvons-nous faire pour changer les choses? Au cours des six prochains mois, nous tendrons le micro à 12 penseurs en matière d’alimentation au Canada pour tenter de répondre à ces questions cruciales.
Cliquez ici pour accéder à d’autres publications de la série.