Par Chris Ragan, président, Commission de l’écofiscalité du Canada
Le premier rapport de la Commission de l’écofiscalité sur la tarification du carbone, La voie à suivre, a démontré que le leadership des provinces en matière de tarification du carbone est un moyen à la fois concret et efficient de faire des progrès rapides en rapport avec des enjeux climatiques pressants. Mais les différences dans le prix du carbone soulèvent des préoccupations légitimes sur la compétitivité commerciale.
Nous faisons paraître aujourd’hui une nouvelle étude pour éclaircir la question.
Ce que nous avons découvert : les difficultés liées à la compétitivité commerciale sont probablement moins importantes qu’on le croit souvent; elles ont par contre des implications sérieuses pour les décideurs qui sont à élaborer de nouvelles politiques provinciales de tarification du carbone.
L’aller/retour à Paris n’a rien de linéaire
Notre nouvelle étude arrive au moment où, partout dans le monde, on se prépare en vue du sommet sur le climat de Paris la semaine prochaine. Pour les nations du monde, la lutte aux changements climatiques est une priorité évidente : plus de la moitié des 155 pays ayant soumis des projets d’engagement national intègrent dans leurs plans une forme de tarification du carbone, ou songent à le faire.
Peu importe les décisions ou les engagements pris à Paris, le chemin du retour n’aura rien de linéaire. C’est vrai sur la scène internationale comme ça l’est ici au Canada. Les gouvernements provinciaux sont en voie d’adopter diverses politiques de tarification du carbone, à leur propre rythme.
Le leadership des provinces protège nos intérêts économiques à long terme grâce à l’adoption immédiate de politiques que l’on pourra améliorer et coordonner avec le temps, stimulant ainsi l’innovation sobre en carbone. Mais à plus court terme, cela soulève la question de la compétitivité.
Différences dans le prix du carbone et pressions concurrentielles
Le prix plus élevé du carbone dans une province va-t-il inciter les entreprises à déménager pour rester compétitives? C’est une question cruciale en regard du double objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de préserver la santé de l’économie. Si les entreprises ou les investisseurs fuient leur territoire pour échapper au prix du carbone, cela risque de nuire vraiment aux provinces sur le plan économique sans produire d’avantages globaux sur le plan environnemental.
Notre nouveau texte, Tarification provinciale du carbone et pressions concurrentielles, illustre la nature et l’ampleur de cette difficulté, tant pour les gouvernements que pour les entreprises. Voici ce qu’il nous apprend.
Une minorité sera touchée
Dans le contexte d’un prix de 30 $ la tonne de carbone, seul un petit nombre de secteurs – représentant moins de 5 % de l’économie du Canada – est susceptible de vivre des pressions concurrentielles importantes.
Pourquoi? Les services et les biens non exportés forment une part énorme de l’économie du Canada. Ces entreprises sont à faible intensité carbonique, ce qui veut dire que leurs coûts de carbone (ce qu’ils devraient payer en vertu d’un régime de tarification fondé sur leur part du PIB) sont très faibles. Par ailleurs, bon nombre de ces entreprises sont en concurrence dans des marchés locaux – où chacun est soumis aux mêmes règles.
Fait intéressant, la rigueur relative des politiques ne change pas grand-chose. Même avec un prix de 120 $ la tonne de carbone (un chiffre bien au-delà de tout ce qui est considéré à l’heure actuelle), 90 % de l’économie canadienne ne serait pratiquement pas affectée par des difficultés liées aux pressions concurrentielles.
Mais il ne faut pas faire abstraction des différences importantes entre les provinces. Notre étude cible l’économie de quatre provinces : Colombie-Britannique, Alberta, Ontario et Nouvelle-Écosse. L’impact pourrait toucher non seulement des secteurs différents, mais la portée de l’impact pourrait aussi varier selon la province – avec des conséquences potentiellement sérieuses pour l’Alberta (18 % de son économie risque d’être touchée, par rapport à 2 % en C.-B., en Ontario et en N.-É.) Comme toujours, il est important de tenir compte de ces particularités.
C’est un élément crucial des politiques
Une tendance commune : le nombre assez réduit de secteurs potentiellement exposés dans chaque province produit une part importante des émissions de GES.
Cela n’a rien d’étonnant – ce sont les principales industries émettrices, exposées aux échanges commerciaux, qui vont sans doute connaître les plus graves difficultés. Mais c’est important.
Pour être efficientes, nous savons que les politiques de tarification du carbone doivent s’appliquer largement, et couvrir le plus possible tous les secteurs de l’économie. Cela veut dire qu’il ne faut pas exclure d’industries, même celles qui risquent de se buter à de véritables pressions concurrentielles.
Ignorer ces pressions, c’est toutefois prendre le risque de voir déménager ces industries, de perdre les emplois et les investissements qui y sont liés et, notamment, de rater une occasion unique de faire évoluer les grandes émettrices vers une économie sobre en carbone.
La clé : des mesures CTT
La bonne nouvelle : les gouvernements peuvent contrer ces difficultés par des mesures de soutien ciblées, transparentes et temporaires pour les industries vraiment vulnérables. Il peut s’agir de permis gratuits (en vertu d’un système de plafonnement et d’échange) ou de rabais de la taxe sur le carbone. Mais les CTT sont la clé du succès de l’opération.
Ciblées signifie que l’on soutient uniquement les industries vraiment vulnérables.
Transparentes signifie que l’on utilise des données objectives pour cibler les industries vulnérables et que cette information est connue de tous. Il reste encore bien du travail à faire à cet égard. Notre étude se base sur des données sectorielles d’accès public. Mais il faut des données détaillées sur les provinces et les entreprises pour évaluer adéquatement la véritable vulnérabilité.
Temporaire signifie que le soutien doit être offert pour une période strictement limitée, de manière à faciliter l’innovation sobre en carbone et la stimuler.
Tant à l’échelle nationale qu’internationale, les provinces passent à l’action, insufflant un élan important à la tarification du carbone. Une conclusion clé de cette nouvelle étude est que les provinces doivent procéder de façon réfléchie à la conception des politiques de tarification du carbone. Mais elles peuvent le faire en toute confiance, avec la certitude que leurs politiques de tarification du carbone vont réduire les émissions de GES tout en stimulant l’innovation dont nous avons besoin pour assurer la compétitivité à long terme des entreprises canadiennes.
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Professeur agrégé en économie à l’Université McGill, Chris Ragan préside la Commission de l’écofiscalité du Canada, dont le but est de stimuler l’adoption de politiques favorisant une plus grande prospérité économique et environnementale au Canada.