La pratique en collaboration : de l’évolution à la révolution

Par Paul McArthur,
Imaginez-vous dans une grande salle de conférence d’hôtel, portant votre plus belle tenue de ville décontractée et une carte autour du cou pour arborer fièrement votre nom et celui de votre organisation à la centaine d’autres participants. Comme la plupart des personnes présentes, vous êtes venu de loin et avez pris congé du travail dans l’espoir d’enrichir vos connaissances et de tisser des liens pouvant vous servir à rendre le monde meilleur. Pendant l’atelier de l’après-midi, un sujet important est soulevé : les principaux acteurs du système travaillent en vase clos et manquent des occasions d’avoir collectivement un poids synergique. Inspirée par cette observation, votre équipe griffonne rapidement des notes sur un tableau de papier avant de s’adresser au reste du groupe : « Le travail en vase clos nous fait aborder le problème d’une façon qui n’est pas efficace et qui laisse certains besoins des plus démunis non comblés! » Ce constat est accueilli par des applaudissements enthousiastes et approuvé par les autres participants. Après un mot de la fin, la conférence se termine, et vous prenez la route pour retourner chez vous.

En retournant au travail la semaine suivante, vous vous attaquez aux nombreuses tâches que vous aviez remises à plus tard en raison de la conférence. Vous vous demandez : « Qu’adviendra-t‑il des excellentes idées que nous avons notées sur ce tableau? Pas de temps pour un suivi maintenant, c’est l’heure de la prochaine réunion. » Deux semaines plus tard, vous y réfléchissez à nouveau et vous vous rendez compte que vous-même, défenseur autoproclamé de la collaboration, avez retrouvé VOTRE vase clos, comme beaucoup d’autres partisans du changement ayant participé à la conférence.
L’année 2016 a marqué le 30e anniversaire de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, établie par l’Organisation mondiale de la Santé à sa conférence annuelle de 1986. Cette charte établit entre autres le principe d’intégration de la santé dans toutes les politiques, principe selon lequel les politiques ne relevant pas de la santé ont des répercussions importantes sur la santé de la population. La collaboration intersectorielle et intergouvernementale est donc essentielle à l’amélioration de la santé des populations. Depuis l’établissement de la charte, je ne sais combien de participants à des conférences ont vécu une histoire similaire, mais je parierais sur un nombre à six chiffres. Alors pourquoi, malgré tous nos efforts, avons-nous toujours du mal à élaborer et à maintenir des approches efficaces et axées sur la collaboration propices au changement? Voici quelques sujets auxquels j’ai réfléchi dernièrement en me basant sur mon expérience personnelle.
 
 

Compétition et collaboration : paradoxe de l’évolution?

Selon la théorie de l’évolution, nous sommes contraints, en tant qu’êtres humains, à nous disputer des ressources limitées : nourriture, eau, hébergement, emplois, etc. Paradoxalement, notre meilleure stratégie pour survivre et prospérer en tant qu’espèce repose sur la collaboration avec les autres[1]. À mon avis, ce paradoxe s’applique aussi aux organisations du secteur social et peut nous aider à répondre à la question posée ci-dessus. Pour survivre, les organisations se disputent elles aussi un financement restreint et des chances limitées de faire une différence dans leur domaine. Cette compétition les empêche parfois, à leur insu, de progresser vers l’atteinte de leurs objectifs communs. Dans son livre intitulé Systems Thinking for Social Change[2], David Stroh y voit un modèle de comportement courant au sein des systèmes. En employant le terme d’« adversaires accidentels » pour désigner ce modèle, il explique comment des relations de collaboration prometteuses peuvent se détériorer par inadvertance pour devenir antagoniques et causer une diminution de l’impact collectif.
 

Image tirée de Systems Thinking for Social Change (Innovation Associates Organizational Learning).
La boucle extérieure montre que la relation de collaboration produit d’abord des effets mutuellement avantageux (l’organisation B soutient les actions de l’organisation A, ce qui accroît le succès de cette dernière, et vice versa). Toutefois, lorsque son succès diminue, l’organisation A élabore une nouvelle stratégie ou trouve une solution pour améliorer ses résultats. Au fil du temps, cela pourrait plomber involontairement la réussite de l’organisation B et inciter cette dernière à changer de stratégie au risque de nuire à son tour au succès de l’organisation A. Si les deux organisations finiront certes par intensifier leurs efforts, elles auront toutefois plus de mal à atteindre leur objectif commun principal.

 

Vers une révolution axée sur la collaboration : où trouver les solutions?

Aussi courants soient les problèmes liés à la collaboration, leurs solutions sont complexes et varient selon le contexte. Selon mon expérience, une des caractéristiques d’une collaboration efficace consiste à consacrer beaucoup de temps à établir des relations, une confiance et une orientation stratégique. Les mandats fondamentaux des organisations définissent la portée de leur travail, et lorsque les projets collaboratifs ne s’inscrivent pas dans cette portée, ils risquent d’être relégués au second plan, voire aux oubliettes. Dans le cadre qu’ils ont établi relativement à l’impact collectif[3], Kania et Kramer ont défini le besoin d’une organisation centrale pour assumer l’essentiel du travail collaboratif et fournir l’espace nécessaire à sa bonne exécution. Sans ce type de soutien dévoué, les initiatives de collaboration risquent de rester de bonnes idées au lieu de devenir des partenariats fructueux.
L’équipe de WellAhead a établi l’accroissement des connexions et des capacités pour stimuler l’intégration du bien-être à l’échelle de la pratique, de l’école, du district et de la province comme élément essentiel de sa théorie du changement. En nouant des partenariats dans les contextes provinciaux et territoriaux et dans le paysage pancanadien, nous continuons de nous poser des questions importantes : comment favoriser des collaborations efficaces? Qui doit participer? Quelle valeur précise la collaboration peut‑elle ajouter aux efforts déployés pour intégrer le bien-être à l’éducation de la maternelle à la fin du secondaire? Comment savoir que nos efforts ont des répercussions?
Pendant que nous réfléchissons aux prochaines étapes de notre stratégie et de nos expériences, il me tarde de continuer à apprendre comment favoriser la collaboration dans le domaine du bien-être des enfants et des jeunes. Quels autres exemples d’efforts collaboratifs avez-vous? Qu’est-ce qui rend ces efforts fructueux ou stériles? Quels cadres, outils et concepts avez-vous trouvés utiles pour faire progresser votre travail collaboratif? Écrivez-moi à l’adresse pmcarthur@mcconnellfoundation.ca.
 
 


[1]WEST, S. A., et autres. « Sixteen common misconceptions about the evolution of cooperation in humans », Evolution & Human Behavior, vol. 32, 2011, p. 231-262.
[2]STROH, D. P. Systems Thinking for Social Change, Chelsea Green Publishing, 2015, p. 61-64.
[3]KANIA et KRAMER. « Collective Impact », Stanford Social Innovation Review, 2011.