Par Alex Gillis
Il y a dix ans, quiconque se promenait le long des ravins de la section de Lower Don Valley à Toronto aurait à peine remarqué une briqueterie centenaire, abandonnée au milieu des broussailles et des marécages. Aujourd’hui, grâce à l’esprit visionnaire de la Fondation Evergreen, au soutien de trois paliers de gouvernement et à une foule de donateurs publics et privés, ce terrain de 40 acres négligé depuis des années est un actif communautaire prospère. Oui, il y a toujours des broussailles et des marécages, mais on y trouve aussi des jardins d’enfants, des sentiers pédestres, une briqueterie transformée en galerie d’art et en salle de conférence, un marché fermier, des classes de plein air, un grand ensemble de bureaux ayant la certification LEED platine, des ateliers et un restaurant. Evergreen Brick Works est devenu une vitrine mondiale de la création de places.
Avec la tenue de la Placemaking Week, du 12 au 17 septembre à Vancouver et plusieurs autres projets ou activités en cours, le mouvement de la création de places est plus évident que jamais au Canada.
« Brick Works est maintenant un laboratoire vivant, un exemple d’espace public à vaste échelle qui connecte à nouveau les gens à un actif civique sous-utilisé auparavant », se réjouit Robert Plitt, directeur général d’Evergreen’s CityWorks. Plitt travaille à des projets de création de places depuis environ 20 ans avec Evergreen et Artscape. Il a contribué à la création d’Evergreen Brick Works, de concert avec des centaines de personnes ayant travaillé à matérialiser une vision qui en fait un lieu magnifique, utile et significatif.
« La création de places (placemaking) commence par le travail collectif des citoyens pour améliorer leur milieu de vie. La création de places ne fait pas que promouvoir une meilleure conception de l’aménagement urbain; elle facilite l’utilisation de modèles créatifs, portant une attention particulière aux identités matérielles, culturelles et sociales qui définissent un lieu et appuient son évolution dans le temps. Ce processus inclusif met l’accent sur le faire ensemble qui renforce les capacités et le leadership des collectivités afin de stimuler leur autonomie. »
– Co*Lab et Project for Public Spaces
La création de places consiste à repenser et redéfinir le rôle d’édifices et d’espaces dont la fonction initiale est devenue inutile ou obsolète. Apparu il y a quelque 40 ans, le terme est attribué à Fred Kent, fondateur de Project for Public Spaces (PPS), un organisme new-yorkais sans but lucratif. Il est devenu en vogue dans des villes de tous les É.-U. et partout dans le monde. Le concept semble élémentaire, mais l’aspect création exige un niveau élevé de participation civique et d’innovation sociale, et les lieux font naître la surprise et le ravissement.
La création de places consiste à créer des espaces publics. « Il peut s’agir d’une propriété privée, mais tous y ont accès », dit Mary W. Rowe, attachée supérieure de recherche à Evergreen et PPS. Elle travaille aussi avec Jane Jacobs, qui a écrit l’ouvrage phare The Death and Life of Great American Cities (1961) ayant contribué à la création du concept. « Une partie de ce que vous voyez aujourd’hui est une définition plus vaste de l’espace partagé », explique Rowe. « Au fur et à mesure que la ville se privatise – logements privés, clubs privés, activité commerciale – on sent une pression pour récupérer des éléments de la ville qui étaient autrefois propriété publique, espace partagé. On le voit dans les secteurs riverains, sur les rues et dans des institutions qui ouvrent leurs portes au public. »
On le voit aussi à Montréal. En hiver, le Village au Pied-du-Courant est un site de déversement de la neige en bordure d’un boulevard à six voies. Mais pendant cinq mois d’été, il devient une plage/promenade urbaine fréquentée par 100 000 personnes par jour – pour des concerts, des activités familiales, des festivals ou un simple moment de relaxation, grâce à des tonnes de sable et une solide équipe de bénévoles de la collectivité.
Les espaces publics comme celui-ci favorisent la santé, la polyvalence et la diversité culturelle des quartiers et peuvent parfois exercer un impact sur des questions et des institutions plus vastes, ce qui finit par modifier les politiques et les budgets municipaux. « Ces mouvements de la base permettent aux gens de modifier leurs ruelles, leurs terrains vagues et leurs quartiers, mais aussi de demander à la ville de changer des choses plus importantes, voire l’urbanisme lui-même », dit Maxim Bragoli, cofondateur de Pépinière & Co., qui a aidé à la mise sur pied du Village au Pied-du-Courant et d’autres projets de création de places.
À la base, la création de places propose des processus et des partenariats qui autonomisent la collectivité. Comme le dit Plitt d’Evergreen, « Comment créons-nous des partenariats équitables et créatifs qui contribuent au bout du compte à la santé et à l’équité, et qui dotent les citoyens des moyens de participer? »
Canadian Placemaking: Overview and Action, un rapport récent du Co*Lab, un organisme d’Halifax, expose cette idée. Les citoyens participent davantage à la vie de leur collectivité, ce qui incite les professionnels et les municipalités à s’assurer que les places sont abordables, équitables et dynamiques.
L’environnement est un autre élément crucial de la création de places. Le transport et le logement sont conçus en fonction de la viabilité – pour réduire les émissions de GES; créer des espaces verts; faciliter l’accès aux pistes cyclables, aux lieux favorables aux piétons et à tout ce qui rend un endroit sain, tant sur le plan humain qu’environnemental. Sophia Horwitz du Co*Lab cite plusieurs de ces créateurs de places vertes en Nouvelle-Écosse : la maison Morris (une maison en bois de 250 ans sauvée de la démolition que l’on a transformée en projet communautaire pour les jeunes); la ferme urbaine Common Roots (un jardin communautaire et un parc à Halifax); et une série de projets annuels de création de places appuyés par la ville et par des groupes communautaires dans divers quartiers d’Halifax.
« On voit surgir la création de places dans de nouveaux lieux », dit Mary Rowe de PPS, qui organise la Placemaking Week à Vancouver, du 12 au 17 septembre. La rencontre mettra l’accent sur la place du Canada sur la carte mondiale de l’avenir de la création de places. « On le voit avec la récupération des rues. Partout dans le monde, on utilise les rues de façon plus créative, et les secteurs riverains aussi. Et plusieurs grandes institutions veulent aussi se transformer – faire tomber les murs et devenir plus accessibles. »
La fondation de la famille J.W. McConnell a octroyé des subventions liées à la création de places notamment au Co*Lab à Halifax; à Evergreen Brick Works; à Artscape à Vancouver et Toronto; à Pépinière & Co. et aux Ateliers créatifs à Montréal.