Concevoir une société civile guidée par les données

Tris Lumley

Tris Lumley est directeur de l’innovation et du développement chez New Philanthropy Capital à Londres au Royaume-Uni. Il dirige les travaux de l’entreprise qui se rapportent à l’innovation, étudiant et concevant des approches originales, de nouveaux modèles ainsi que de nouveaux projets pour améliorer considérablement et à long terme la capacité du secteur social.

Lorsque vous étiez enfant, que rêviez-vous de faire plus tard?

Être astronaute, pilote et chercheur, probablement dans cet ordre. Je me suis inscrit en physique à l’université, mais j’ai réalisé que ça représentait beaucoup de travail ennuyeux en laboratoire, et que la philosophie des sciences était beaucoup plus intéressante.

Qu’êtes-vous devenu?

Après avoir étudié l’histoire et la philosophie des sciences – des études formidables, mais qui ne préparent pas vraiment au monde du travail –, j’ai fait comme tous ceux qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire, et je me suis tourné vers les services-conseils.

J’ai beaucoup appris durant ces trois belles années, puis vers 2000, j’ai travaillé dans des sociétés point-com. J’ai ensuite fait une pause et passé un an à enseigner la plongée sous-marine en Thaïlande et au Honduras. Je voulais changer d’orientation. J’ai trouvé ma voie au sein d’une étrange organisation hybride, dont les membres disaient vouloir être rationnels en ce qui concerne le secteur social, vouloir offrir des services de recherche et de conseil indépendants aux organismes philanthropiques et sans but lucratif, et vouloir changer le fonctionnement du secteur. J’y travaille depuis 13 ans.

Que pensez-vous de la situation mondiale en ce moment?

Partout, la scène politique est un fiasco. Il y a Trump, le Brexit, la montée du populisme et du nationalisme. Les divisions sociales sont de plus en plus apparentes et enracinées. La presse et les médias ne sont pas efficaces. C’est une trajectoire assez terrifiante qui pourrait nous faire remporter un prix Darwin à l’échelle planétaire. Cependant, je pense que c’est aussi à la fois un énorme défi et une formidable occasion pour ceux qui croient qu’il faut essayer de changer les choses. C’est une situation d’urgence qui nous force à réfléchir à nos actions en adoptant une démarche plus radicale, plus collective.

On a toujours de la difficulté à se rappeler que les choses changent, et que l’on vit un moment parmi tant d’autres. Nous, le peuple, avons créé les systèmes. Nous sommes en mesure de trouver d’autres options.

Qu’est-ce qui vous motive à travailler à petite échelle sur des problèmes d’une telle ampleur?

En créant des liens avec des personnes inspirantes qui nous insufflent de l’énergie et qui comprennent nos objectifs, nous avons l’impression de faire partie d’un mouvement plutôt que d’un groupe de gens isolé. Je trouve ce genre de liens incroyablement stimulants.

Y a-t-il un lien entre les résultats des expériences à petite échelle des innovateurs sociaux et un projet de transformation à grande échelle?

Si l’innovation sociale est un mouvement de plus en plus embourgeoisé et exclusif, elle ne peut pas faire partie de la solution. Si le profil des gens dans les domaines et les organisations visés reste le même, on ne parvient pas réellement à donner aux éventuels acteurs du changement les moyens d’agir.

On peut remporter de nombreuses victoires sur le plan technique ainsi qu’accomplir et prouver bien des choses qui, ensemble, pourraient mener à quelque chose de bien plus important. Mais je crois aussi que nous pourrions être en train de nous faire des illusions. Ce n’est peut-être pas réellement une question d’équité et de justice sociale. Si j’étais pessimiste, je dirais qu’il s’agit de gentilles personnes de la classe moyenne qui veulent avoir le sentiment de faire quelque chose de bien.

Et si vous étiez optimiste?

Mais je suis optimiste! Non… Je pense que nous pouvons faire une différence en agissant et en adoptant une démarche globale, c’est‑à-dire en intégrant les valeurs et les principes qui guident nos actions aux aspects techniques de ce que nous tentons de démontrer et de changer. Je travaille à l’élaboration d’un projet de financement collectif pour investir en technologie dans le secteur social. Ma perspective est fondamentalement centrée sur les utilisateurs, sur une profonde compréhension de la réalité des gens. Il y aura souvent des options simples, mais moins ouvertes. Je crois que nous avons toujours plus d’occasions de mettre en pratique nos valeurs et nos principes. Chaque jour, nous pouvons faire des choix à cet égard.

L’innovation sociale est-elle révolutionnaire?   

Pas encore. Elle pourrait l’être.

À quoi cela ressemblerait-il?

Cela donnerait quelque chose qui finirait par avoir une incidence sur les changements politiques et les défis majeurs que l’on a observés au cours des dernières années, ainsi que sur la manière dont la justice sociale s’est vue menacée par nombre de ces changements. Pour pouvoir opérer un changement dans les systèmes les plus vastes ou sur la scène politique, on doit chercher à jouer un rôle actif dans ces milieux.

Qu’est-ce que l’innovation sociale?

Une personne beaucoup plus sage que moi a dit : « Mettons les définitions de côté, concentrons-nous sur ce que nous faisons, et laissons notre travail nous rassembler. » Pour moi, l’innovation sociale constitue assurément une tentative délibérée et résolue d’améliorer le monde, la société, les communautés et le sort de la population par divers moyens. Il peut s’agir d’intégrer les données à son travail, d’établir des liens entre les secteurs privé, social et public, ou de créer des modèles qui accordent des responsabilités et des pouvoirs aux gens qui prennent part à des projets participatifs novateurs. Toutes sortes de mesures peuvent être prises. Je crois que l’objectif est plus important que les moyens pris pour l’atteindre. On parle d’une communauté de pratique qui se définit elle-même parce que ses membres désirent travailler ensemble vers un but commun.