Simon Brault
Simon Brault est directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada. Il est actif au sein du milieu culturel depuis plus de 30 ans. Il a été directeur général de l’École nationale de théâtre du Canada.
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Bienvenue à Countless Rebellions, la série de balados qui explore les limites et le potentiel de l’innovation sociale en compagnie de chercheurs, de praticiens et d’activistes de tout le Canada. Cette série est produite à Montréal, sur le territoire traditionnel non cédé des peuples Kanien’keha:ka, aussi appelés Mohawks, qui a longtemps servi de lieu de rassemblement et d’échange entre les nations.
Dans cet épisode, je m’entretiens avec Simon Brault. Simon est directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada. Bien que Simon soit en théorie un administrateur d’affaires culturelles, son rêve d’enfance de devenir un avocat œuvrant pour la justice sociale influence aujourd’hui son travail, qui s’étend à la promotion des arts et cherche à changer directement la vie des gens. Au cours de notre conversation, nous abordons la rencontre de l’art et de l’innovation sociale ainsi que sa quête personnelle de changement social. Simon a déménagé de Montréal à Ottawa pour occuper le poste évolutif de chef de la direction du Conseil des arts du Canada, dans le cadre duquel il repense la façon dont le financement des arts peut exister en ces temps de nouvelles priorités ainsi que la façon dont les arts peuvent s’inscrire dans un grand projet de changement social.
Brault : J’ai décidé de venir ici et de quitter une ville que j’aimais beaucoup, Montréal, et un emploi que j’aimais beaucoup également. La seule raison pour laquelle j’ai décidé de venir ici était que je croyais possible de changer le financement public des arts. J’étais d’avis qu’il était temps de réinventer le financement des arts et de lui donner une nouvelle légitimité. J’observais ce qui se passait partout dans le monde; je constatais que le soutien public des arts était en déclin. J’observais que dans beaucoup de pays, il se trouvait menacé par les gouvernements. Il n’était pas en déclin et menacé seulement à cause du manque d’argent, mais aussi à cause de la stagnation des organismes qui exerçaient leurs activités en se basant sur les mêmes hypothèses qu’il y a 60 ans. Les organismes de financement des arts étaient devenues prisonniers des droits de leurs clients et ne s’intéressaient pas assez aux citoyens ordinaires et à leur influence sur l’ensemble de la société. Ils veillaient surtout à servir des clients particuliers, une très petite partie de la population, mais sans penser aux retombées sociales que pourrait avoir leur travail. C’est donc ce que je voulais changer.
Simon travaille au carrefour de l’art et du bienfait social. Il collabore aussi de plus en plus avec des innovateurs sociaux. Qu’est-ce qui distingue l’art de l’innovation sociale?
Brault : Je crois que ce qui distingue l’innovation sociale de l’art est le désir, l’état final. Lorsque vous faites de l’art, la plupart du temps, vous ne savez pas quel est l’état final attendu ou souhaité. Vous entrez dans un processus créatif, vous cherchez à exprimer quelque chose d’important pour vous en tant qu’artiste. Et puis vous travaillez et travaillez encore. Finalement, si vous arrivez à quelque chose d’authentique, qui est différent de ce qui a déjà été fait avant, qui remet en question les émotions ou les pensées de ceux qui vous entourent, c’est de l’art. Je crois que lorsqu’on tente de produire une innovation sociale, l’état final souhaité ou un état final souhaité, ce que l’on veut voir se produire, est le moteur qui nous pousse à travailler avec les autres pour innover. C’est une façon différente de travailler, mais les similitudes sont nombreuses, parce que, encore une fois, il faut être courageux, systématique et persévérant, tant pour être un innovateur social que pour être un artiste. Il faut être authentique, vrai, fidèle à ses valeurs et ne pas faire de compromis. Il y a donc beaucoup de ressemblances, mais je crois qu’il s’agit de deux processus différents. Comme je l’ai déjà dit, l’état final souhaité est un moteur plus important pour l’innovation sociale que pour l’art.
Mais je crois que bien des gens sont des innovateurs sociaux sans le savoir. C’est simplement parce qu’ils ont trouvé des façons nouvelles ou inattendues de régler des questions ou des problèmes, et pour lesquelles il n’existait aucune recette. J’étais en Argentine dernièrement, et j’ai visité des quartiers très défavorisés de Buenos Aires. J’y ai rencontré beaucoup de gens, des chefs de file à l’origine d’innovations formidables. Ces gens étaient des innovateurs sociaux. Je ne crois pas qu’ils se considéraient comme tels. L’un d’eux m’a confié qu’au moment de la crise en Argentine il y a quelques années, c’était le chaos total. Il m’a dit : « nous étions là, nous n’avions rien à faire, rien à perdre, nous étions complètement abandonnés de tous, et puis nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire pour commencer ». Ils se sont dit que la seule manière de retrouver leur dignité était de trouver des façons de créer des emplois. Ils ont donc construit une boulangerie. Mais ils se sont rendu compte que ce n’était pas suffisant pour créer des emplois. Ils ont donc mis sur pied leur propre école. Tout ça s’est fait sans l’aide de l’État, du bas vers le haut. Et aujourd’hui, ils possèdent une école, la meilleure et la mieux équipée du quartier, et une immense boulangerie. Ils ont confié à des artistes du textile la réalisation des uniformes scolaires, qu’ils vendent par la suite. Ils font toutes ces choses complètement novatrices dans ce contexte. Mais quand je leur ai demandé où ils avaient pris toutes ces idées, ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas eu d’idées, mais qu’ils voulaient plutôt désespérément trouver une solution. Et c’est ce qu’ils ont fait.
Je crois donc qu’on peut rencontrer des innovateurs sociaux qui ignorent tout des théories sur l’innovation sociale, et ces personnes sont très importantes. C’est la même chose pour le travail des artistes. J’ai rencontré d’importants graveurs au Nunavut, et parmi les plus connus, il y avait cette dame, sans doute âgée de 90 ans aujourd’hui, qui avait reçu la plus haute décoration honorifique au Canada. Je lui ai demandé pourquoi elle avait décidé de devenir une artiste. Elle m’a répondu qu’elle avait vu, quand elle était jeune, quelqu’un réaliser une gravure et la vendre. Elle s’était dit qu’elle pouvait peut-être créer quelque chose de suffisamment beau pour le vendre et être en mesure de nourrir ses enfants. Ce qui l’a incitée à devenir une grande artiste visuelle n’avait rien à voir avec une formation en arts visuels, par exemple, mais elle est néanmoins une grande artiste.
Quelles sont les différences et les similitudes entre l’art et l’innovation sociale? Et qu’est-ce que l’innovation sociale peut apprendre de l’art?
Brault : L’innovation sociale est différente parce qu’il faut constamment se demander quelle est l’échelle de l’innovation. Il est vrai que certaines personnes peuvent travailler toute leur vie à quelque chose de très, très petit, mais qu’elles veulent vraiment changer. Ce sont des innovateurs. La grande question est la suivante : est-il possible de réaliser ce travail sur une plus grande échelle? À mon avis, pour que l’innovation sociale ait de l’importance, elle doit être reproduite, amplifiée et elle doit être transférable à d’autres situations, ce qui n’est pas la définition de l’art, par exemple. L’art, par définition, est basé essentiellement sur l’unicité. Mais je crois que l’innovation sociale est à la fois un processus et un résultat. Tant le processus que le résultat de l’innovation sociale devraient, idéalement, être transférés ou élargis, devraient être reproduits ultérieurement à une autre échelle pour avoir un effet sur l’état de notre société dans son ensemble. Je crois que l’innovation sociale peut apprendre de l’art que tout est possible, qu’il faut avoir, non pas l’idée, mais plutôt l’habitude d’être audacieux lorsqu’on créé quelque chose, et ne pas avoir peur du caractère imprévisible des résultats. Je suis d’avis qu’en fait, l’innovation sociale peut emprunter à l’art et aux artistes certains processus et certaines connaissances. Je donnais l’exemple de l’Argentine, où un important chef de file, un innovateur social, a décidé de s’associer à des artistes parce que ces derniers apportaient une beauté, une esthétique qui réussiraient à mieux communiquer le message. Parce qu’ils essayaient de créer des emplois, de produire des choses qui seraient utiles aux gens, c’est‑à-dire des vêtements et du pain. Mais ils voulaient aussi pouvoir le faire d’une manière qui est belle et qui apporte une dimension spirituelle, ce que des objets produits sans aucune touche ou intervention artistique ne peuvent pas faire. Je crois que l’art peut amener cela.
Pourquoi est-ce que la beauté et la spiritualité sont des aspects si importants dans la quête d’innovation sociale?
Brault : Je crois que l’innovation sociale n’est possible que si l’on puise dans les valeurs les plus positives et les plus puissantes véhiculées par les êtres humains. Maintenant, comment les trouvons-nous? Comment intégrons-nous ces qualités ou ces ressources que chaque être humain possède? L’art et la culture sont des moyens d’y arriver. Nous savons cela. Cela se manifeste dans la façon dont nous traitons l’autisme. Nous savons que nous pouvons découvrir les motivations les plus profondes de l’être humain par son expression artistique ou par sa façon d’interagir avec ce qui est beau à l’extérieur de lui. L’innovation sociale a un côté rationnel, mais aussi un autre côté beaucoup plus profond : l’émotion. Je crois que toutes les capacités de l’être humain sont stimulées, éclairées et nourries par l’art ou par le désir d’exprimer quelque chose qui a une valeur artistique.
Vous avez dit au sujet de l’innovation sociale qu’elle est de nature professionnelle, qu’elle comporte des méthodes…
Brault : Oui, bien sûr.
… des meilleures pratiques et tout cela. Mais je crois que c’est moins une méthode ou une profession qu’un mouvement de gens qui partagent une vision.
Brault : Une impulsion.
Quelle est, selon vous, la tâche de ce mouvement?
Brault : Je crois que l’enjeu de l’inclusion est celui qui a le plus besoin d’innovations sociales à l’heure actuelle. La diversité, oui, mais aussi l’inclusion. Parce que je crois que nous vivons dans une société qui génère de plus en plus d’exclusions. Cette nouvelle ère de capitalisme est vraiment fondée non seulement l’exploitation des gens, mais aussi sur leur exclusion. Et pour une raison quelconque, tous les prétextes sont bons pour exclure les gens et les empêcher de s’exprimer sur l’avenir de notre société. C’est une question d’argent, de handicap, de différence, de couleur, etc. Alors si les innovateurs sociaux pouvaient trouver des façons de promouvoir, d’organiser et de favoriser réellement l’inclusion des personnes exclues, cela représenterait un travail immense et un accomplissement fantastique.
[Thème musical de conclusion]
Merci d’avoir été des nôtres. Je suis Scott Baker, et ceci est le balado Countless Rebellions, qui vous est offert par la fondation McConnell. Pour en apprendre davantage, écoutez sans faute nos autres épisodes. Si vous y découvrez quelque chose d’intéressant qui pourrait plaire à quelqu’un, faites-le-lui connaître. Countless Rebellions est produit par Adjacent Possibilities, en collaboration avec Brothers DePaul. Pour en apprendre davantage sur la fondation McConnell et le travail de ses titulaires de subvention, rendez-vous au mcconnellfoundation.ca.