Jamie Biggar
Jamie Biggar est directeur des communications et des campagnes au Centre for Social Innovation. Avant de se joindre au centre, Jamie a cofondé Leadnow, le premier groupe progressif de militantisme propulsé numériquement, où il a agi comme directeur général et directeur de campagnes.
Lorsque vous étiez enfant, que rêviez-vous de faire plus tard?
Biggar : Je ne me souviens pas, sans doute parce que j’ai changé d’idée souvent. Je voulais probablement être astronaute, vétérinaire ou biologiste de la vie aquatique, comme tous les autres enfants. Mais, pendant une grande partie de mes études, je savais que je voulais évoluer dans le milieu universitaire. C’était mon idée la plus cohérente et la plus durable de ce que je voulais faire plus tard.
Comment avez-vous concrétisé cette idée?
Biggar : J’ai fait mes études de premier cycle en politique, puis mes études supérieures en écologie politique, qui accorde une importance égale à la politique, à l’économie et aux écosystèmes. Pendant mes études, mon engagement et mon intérêt envers la politique sur le terrain et l’activisme autour de moi ont grandi. Le 11 septembre 2001, j’en étais à ma première semaine d’études de premier cycle en sciences politiques. Au tout début de mes études supérieures, il y a eu Katrina, un ouragan dévastateur causé par les changements climatiques qui a subi les ratés du système politique et laissé La Nouvelle-Orléans dans un état de vulnérabilité extrême. J’avais vraiment l’impression que les événements du monde réel faisaient irruption dans mes études.
Il y a eu une étape intermédiaire, notamment pendant mes études supérieures. Un de mes professeurs à l’Université de Victoria, Michael M’Gonigle, croyait fermement que les universitaires devaient militer activement. J’ai travaillé avec lui à promouvoir la durabilité sur le campus. Il imaginait les universités comme d’importants pôles d’innovation sociale axés sur les régions et faisant partie d’un réseau mondial, qui favoriseraient la transformation à l’échelle locale en mettant leurs ressources en commun, que ce soit leur pouvoir d’achat, leurs terrains, leurs activités, leurs chercheurs ou leur savoir.
J’ai donc beaucoup travaillé en ce sens.
Vous avez assisté à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Copenhague. Comment cette expérience vous a-t‑elle façonné?
Biggar : Elle m’a transformé de différentes façons. Je me suis rendu à Copenhague en 2009 avec la délégation canadienne. À ce moment, j’avais commencé à prendre position et à militer activement. Nous avions réussi à convaincre le Parti libéral, le NPD et le Parti vert à voter ensemble pour un projet de loi sur les changements climatiques. Le projet de loi était plutôt frileux et visait essentiellement à fixer un objectif qu’il faudrait travailler à atteindre par la suite. Nous sentions pourtant que nous avions remporté une victoire; à tout le moins avions-nous montré au reste du monde que les parties représentant la majorité des Canadiens souhaitaient faire avancer les choses.
C’était la première fois que je collaborais avec des représentants des pays d’Afrique et des petites nations alliées pour qui la menace des changements climatiques était réellement existentielle. Des centaines de personnes de ces délégations, dont une délégation en particulier, s’étaient ralliées et scandaient « deux degrés, c’est un suicide, trois degrés, c’est un génocide ». Ça m’a frappé de plein fouet. Je n’avais jamais vu les choses ainsi. Je n’avais jamais imaginé que les changements climatiques pouvaient causer la mort de façon aussi directe. Mais c’est ce que j’ai compris en les écoutant.
D’un autre côté, il y a notre gouvernement… Quand on a eu le privilège de grandir au Canada, on a l’image d’un pays juste. Je me souviens d’un soir où les Yes Men avaient monté un canular visant le gouvernement : ils avaient publié un communiqué de presse qui affirmait que, du jour au lendemain, le gouvernement du Canada avait adopté diverses positions très progressistes. J’étais là à me réjouir avec le reste de la délégation canadienne, parce que c’était une excellente façon de montrer à quel point le Canada était prêt à faire avancer les choses.
Ce soir-là, je ne sais pas si c’était par stratégie ou par coïncidence, il y a eu une fuite révélant que le Canada allait en faire encore moins que ce qu’il avait promis. J’ai ressenti quelque chose que je n’avais jamais ressenti auparavant en tant que citoyen canadien issu d’un milieu aisé à Toronto : j’étais furieux, car j’avais le sentiment d’avoir été presque chassé de la société canadienne par mon propre gouvernement, et de me retrouver à l’écart.
À l’Action est née de ce sentiment de grande colère.
Maintenant, vous travaillez au Centre for Social Innovation (CSI). Comment avez-vous vécu la transition?
Biggar : J’aime beaucoup l’aspect créatif, collaboratif, optimiste et avant-gardiste de l’innovation sociale. Je ne veux pas dire que l’activisme n’est pas créatif, productif ou extraordinaire, mais il m’apparaissait important de quitter cette voie et de retourner là où je pouvais renouveler mes espoirs et mon optimisme.
J’étais très heureux de constater que le CSI allait de l’avant en mettant l’accent sur l’inclusion sociale. Grâce à la nomination d’Adil Dhalla à titre de directeur général et à la présence de Shilbee Kim et de son équipe extraordinaire à Regent Park, l’accent est mis sur l’importance de l’inclusion sociale pour l’innovation sociale et, de façon plus générale, pour la société et le bien de tous. Nous travaillerons de manière très concrète par l’intermédiaire de notre campagne Climate For Everyone Toronto pour apprendre aux gens comment aider les communautés menacées à l’heure actuelle, aider à faire de Toronto une ville pour tous, réunir les gens qui apportent leur contribution et les aider à accomplir l’extraordinaire travail qu’ils font en tant qu’innovateurs sociaux, entrepreneurs sociaux et militants.
Qu’est-ce que l’innovation sociale peut apporter aux créateurs de mouvement?
Biggar : Je crois que ce qu’elle peut offrir de plus important est la collaboration porteuse d’espoir. Le monde ne sera plus ce qu’il était dans les années 60 et 70. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, ce n’est pas possible. Nous devons aller de l’avant, trouver de nouvelles idées, soutenues par de nouvelles relations entre des personnes de différentes allégeances politiques. L’innovation sociale offre les outils et les moyens pour y arriver.
L’innovation sociale implique de mieux faire les choses. Bien des gens sont motivés à agir ainsi parce que la cause leur tient à cœur. Je trouve ça merveilleux. C’est très important. Cet esprit de rébellion, ce désir de tout changer et d’améliorer les choses sont des attraits qui nous permettent de gagner des appuis.
Pourriez-vous m’expliquer brièvement ce qui fait le succès d’une innovation sociale?
Biggar : Il faut s’attaquer à un problème évident et être en mesure de rallier les gens pour tenter d’en comprendre les causes. Il faut travailler sur le terrain. Certains cas classiques l’illustrent bien, comme celui de Muhammad Yunus qui, avant de créer la banque Grameen, était sur le terrain à essayer de comprendre ce qui se passait vraiment.
Il faut être sur le terrain, mais il faut aussi adopter une approche scientifique pour comprendre les enjeux plus profonds.
Que pensez-vous de la situation mondiale en ce moment?
Biggar : C’est compliqué, n’est-ce pas? Le problème des changements climatiques est très complexe. En revanche, la révolution électrique dans le secteur automobile semble vouloir se produire très rapidement! J’ai quitté le milieu universitaire en partie parce que je n’avais plus beaucoup d’espoir. J’étais pessimiste.
C’est formidable de constater à quel point la technologie nous permet de développer nos idées, de nous retrouver et de travailler ensemble. L’Internet nous présente une image du monde qui renvoie à un mouvement de collaboration et d’auto-organisation. Mon optimisme vient de ma certitude qu’une structure axée sur la collectivité et l’amour peut se conjuguer à notre capacité grandissante à profiter des occasions que nous avons de réfléchir et de gouverner collectivement à différentes échelles comme jamais auparavant. Nous nous trouvons donc entre le ciel et l’enfer, comme cela a été le cas dans l’histoire chaque fois que l’ordre établi s’est écroulé.