Créer un gouvernement ouvert et transparent

Jaimie Boyd

Jaimie Boyd est directrice du projet de gouvernement ouvert au sein du gouvernement du Canada. Le gouvernement ouvert crée davantage de transparence et de responsabilisation, augmente la mobilisation citoyenne et favorise l’innovation et les possibilités économiques au moyen de données ouvertes, d’information ouverte et d’un dialogue ouvert.

Lorsque vous étiez enfant, que rêviez-vous de faire plus tard?

Boyd : J’étais déterminée à devenir première ministre, docteure, avocate et astronaute.

Qu’êtes-vous devenue?

Boyd : Rien de tout cela. Je suis plutôt devenue une fonctionnaire, mais une fonctionnaire passionnée. Je crois réellement que les gouvernements ont le pouvoir de rendre la société plus inclusive, d’attaquer de front les questions concernant les politiques publiques.

Qu’est-ce que l’innovation sociale?

Boyd : Dans sa forme la plus appréciable, la plus généreuse, elle consiste à utiliser les connaissances collectives dans l’intérêt public. Il s’agit de mettre à profit un large éventail de ressources, pas seulement la richesse, mais aussi le capital humain, les idées et les passions, pour rendre notre société meilleure, plus efficace et plus riche et en faire un milieu où il fait bon vivre.

Qu’avez-vous appris sur la manière dont les systèmes évoluent au cours de vos années dans la fonction publique?  

Boyd : Quand j’ai commencé, je me souviens m’être dit : « Mon Dieu, cette organisation est tellement vaste et tellement lente. » Puis j’ai commencé à me dire : « Elle est vaste et lente, mais elle est très consciencieuse. » Mais de plusieurs manières, cette aversion pour le risque est tout à fait justifiée. Nous avons l’immense privilège de gérer la richesse et les ressources publiques, et je crois que ce privilège de pouvoir décider de la façon de dépenser l’argent des contribuables est d’une importance capitale.

En gravissant les échelons, j’ai commencé à comprendre le système un peu mieux. J’ai commencé à perdre patience. Je crois qu’en tant que fonctionnaires, il nous incombe de trouver des solutions pour obtenir des résultats optimaux. Mais je pense que parfois, nous ne nous donnons pas beaucoup de chances à cet égard. À l’extérieur du gouvernement, on trouve des gens à l’esprit vif et agile, bien plus que nous. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes de plus en plus conscients de l’importance d’être vifs et agiles, et que nous prenons des mesures en ce sens. Cependant, nous avons encore besoin d’une transformation culturelle majeure. C’est en grande partie pourquoi j’ai décidé de travailler sur le plan d’action pour un gouvernement ouvert.

Comment se sent-on quand on s’occupe de l’innovation au sein d’une entité si prudente?

Boyd : C’est une réalité avec laquelle nous composons chaque jour. Parce que nous y croyons. Nous sommes déjà convaincus que l’ouverture est la meilleure option. Pour plusieurs d’entre nous, être efficaces au travail signifie presque être des évangélistes qui défendent le gouvernement ouvert.

J’ai l’impression de pouvoir présenter différents types d’arguments pour justifier une ouverture, une transparence et une responsabilisation accrues. Les arguments qui convainquent les convertis sont différents de ceux qui convainquent les sceptiques. Quand nous parlons à des gens qui croient déjà en nos idées, nous pouvons traiter de l’importance d’approfondir notre démocratie, de veiller à ce que la richesse collective soit mise à profit, de faire appel à l’externalisation ouverte et à la cocréation, parce que c’est intrinsèquement bien. Mais ce discours ne séduit pas trop les sceptiques. Il faut leur dire qu’il y a une véritable valeur ajoutée à l’augmentation de l’ouverture, de la responsabilisation et de la transparence. Que s’ils tiennent compte de l’opinion des citoyens et qu’ils intensifient leurs activités de mobilisation, ils obtiendront de meilleurs résultats et amélioreront l’efficacité et la qualité de la prestation de leurs politiques et programmes.

Nous nous occupons du site ouvert.canada.ca, le portail du gouvernement ouvert du Canada. Le site héberge tous les jeux de données et les fonds de renseignements ouverts fédéraux. Le Canada est un chef de file mondial : il compte environ 80 000 jeux de données ouvertes. Nous occupons actuellement le 2e rang mondial sur le Open Data Barometer. Je crois que seuls les États-Unis ont plus de données ouvertes que nous en ce moment. C’est vraiment un projet d’entreprise. Mais il y a des risques associés à une telle quantité de données et de ressources ouvertes. Il faut tout vérifier pour s’assurer que rien ne porte atteinte à la vie privée. Nos exigences sont assez strictes. Nous demandons l’approbation de l’agent d’information le plus haut placé de chaque organisme.

En théorie, un outil pourrait combiner ces jeux de données de manière vraiment insolite et faire ressortir des tendances dont nous n’avions pas connaissance. Je crois que pour innover au sein de notre organisation, et non à l’extérieur, nous devons être un peu plus méticuleux – beaucoup plus, en fait – que nous le serions dans d’autres circonstances.

En théorie, un outil pourrait combiner ces jeux de données de manière vraiment insolite et faire ressortir des tendances dont nous n’avions pas connaissance. Je crois que pour innover au sein de notre organisation, et non à l’extérieur, nous devons être un peu plus méticuleux – beaucoup plus, en fait – que nous le serions dans d’autres circonstances.

Pouvez-vous donner un exemple d’innovation idéale introduite par le gouvernement ouvert?

Boyd : Je vais vous donner un exemple plutôt pointu et dont je suis particulièrement fière. Notre portail est exécuté par un logiciel libre du nom de CKAN. À ce que je sache, il s’agit sans doute du seul site Web en accès libre au gouvernement du Canada. C’est incroyable, car cela veut dire que nous avons joint la parole aux actes en matière de gouvernement ouvert. Tous les éléments qui alimentent le serveur et le site Web sont accessibles sur GitHub. C’est formidable parce que nous avons aussi l’occasion de redonner à la communauté internationale.

Au début, en 2011, nous avions 11 ministères et organismes et seulement quelques jeux de données. Maintenant, nous avons plus de 60 ministères et organismes qui publient tous des renseignements régulièrement.

Quel est le rôle du gouvernement dans l’écosystème d’innovation?

Boyd : Pour moi, il joue indéniablement le rôle de facilitateur. Je crois que trop longtemps, on a eu cette vision d’un gouvernement monolithique, capable de tout et expert en tout. Mais on trouve de nombreux experts ailleurs. Il faut permettre à ces gens et à ces organismes de contribuer plus efficacement aux décisions stratégiques. Je pense que le gouvernement se trouve dans une position unique qui lui permet d’être un chef de file.

Pouvez-vous décrire sommairement la mentalité idéale d’un fonctionnaire?

Boyd : C’est tout un honneur pour moi de travailler au sein du gouvernement, de servir et de faire progresser notre pays. À l’interne, nous avons une maxime : « faites preuve d’ardeur dans vos conseils et de loyauté dans la mise en œuvre ». C’est ce qui fait fonctionner notre démocratie et qui nous permet d’être de bons fonctionnaires. Je suis entièrement d’accord avec cette idée. Toutefois, il faut également faire preuve de beaucoup de constance dans la mise en œuvre afin d’accomplir le travail avec la plus grande efficacité possible.

Comment se sent-on quand on fait partie d’une grande institution qui avance lentement dans un monde qui, lui, évolue à une vitesse fulgurante?

Boyd : Actuellement, nous représentons l’une des plus hautes priorités du gouvernement. Nous voyons toutes les lettres de mandat adressées aux ministres suggérant de hausser la barre en matière d’ouverture et de transparence. Je travaille pour le Conseil du Trésor sous la direction du président du Conseil du Trésor, qui a pour mandat d’augmenter la quantité d’information et de données rendues publiques. Nos confrères étrangers nous disent que les actions du Canada ont un poids important en ce moment. En décembre, nous avons participé au Sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Le Partenariat compte 75 pays membres, et nous en faisons partie depuis 2012. Tous les participants au Sommet affirmaient être contents que le Canada joue un rôle de premier plan dans ce mouvement. Ce que nous avons d’ailleurs fait : nous avons joint le comité directeur du Partenariat pour un gouvernement ouvert et nous le coprésiderons en 2018-2019.

Cela dit, je ne suis pas sûre que tout le monde au gouvernement du Canada partage cette vision, particulièrement dans certains grands ministères et organismes. Nous avons noté quelques sources de frustration, par exemple la prolifération des laboratoires d’innovation. Ottawa compte plus de 20 laboratoires d’innovation. On dirait presque que la création d’un laboratoire est considérée comme un résultat en soi. La création d’un laboratoire n’a rien d’extraordinaire. C’est quand le laboratoire fait des choses formidables que ça devient extraordinaire!

Qu’est-ce qui vous pousse à faire ce type de travail dans la façon dont vous fonctionnez ou dont vous voyez le monde?

Boyd : À l’université, j’ai fait des études de premier cycle en économie, et je me souviens qu’en théorie des jeux, on abordait les jeux à somme positive. Une politique peut assurément être un jeu à somme positive pour beaucoup de gens. Pour tout le monde, même. Si l’on procède de la bonne manière. Si l’on est vraiment consciencieux et prudent. Adolescente, je me rappelle avoir essayé d’influencer des décisions stratégiques. J’avais 18 ou 19 ans, et je me souviens que le gouvernement envisageait de participer à la guerre en Irak. Je m’opposais fermement à l’idée, et je me suis dit que j’allais rassembler quelques personnes pour voir ce que nous pourrions faire. Je viens de Victoria; ce n’est pas une très grande ville. Nous avons organisé des manifestations. Les premières manifestations ont attiré quelques centaines de personnes, mais pour ce qui est de la dernière, je crois que le nombre officiel s’élève à 12 000 manifestants dans les rues de Victoria.

Pour une jeune, c’était incroyablement motivant. Nous pouvons faire une différence. Finalement, le gouvernement n’a pas envoyé de troupes en Irak. J’avais l’impression que nos actions avaient porté fruit. Cette mobilisation citoyenne liée aux politiques publiques a créé de la valeur.

Je crois que la plupart des membres de mon organisation avec qui l’on discute le moindrement en détail diront que leur décision de devenir fonctionnaire était motivée, du moins en partie, par un désir de faire le bien.