Gorka Espiau
Gorka Espiau est attaché supérieur de recherche à la Young Foundation au Royaume-Uni et professeur de pratique à l’Université McGill. Il était auparavant directeur du programme des affaires et zones internationales de la Young Foundation et conseiller spécial du bureau exécutif du président basque. Il est aussi le cofondateur du laboratoire d’innovation sociale SILK.
Lorsque vous étiez enfant, que rêviez-vous de faire plus tard?
J’ai étudié en journalisme, donc je suppose que je voulais travailler dans ce domaine. J’ai grandi à Bilbao, au Pays basque, alors que la région traversait une période marquée par la violence et une profonde crise sociale et économique. La fin de la dictature en Espagne avait déclenché une véritable tempête. Ce climat a influencé ma vision des choses et le but vers lequel je tends.
Qu’êtes-vous devenu?
Je ne sais pas. J’ai trois enfants. Ils me demandent souvent ce que je fais, et c’est difficile à expliquer. Parfois, je réponds que je suis journaliste, parce que c’est la réponse la moins complexe. Mais en matière d’innovation sociale, je crois que je suis devenu un créateur de mouvement ciblant des initiatives d’innovation sociale. Je fais le lien entre les initiatives locales et les organismes publics et privés dans le but de les faire progresser. C’est une définition compliquée.
Pouvez-vous nous donner une idée de l’ampleur des problèmes que vous affrontez?
Ça dépend du lieu. Par exemple, à Montréal, nous cherchons à créer un mouvement de transformation à l’échelle municipale. C’est un projet de très grande envergure. Comment mettre en relation les grands établissements publics et privés de la ville et les citoyens ordinaires pour déclencher un tel mouvement? Le projet est ambitieux considérant la taille importante des groupes visés. Pourtant, il peut entraîner différentes répercussions, par exemple sur la façon dont on s’occupe de la sécurité ou du transport dans une rue en particulier. Il s’agit d’un travail à grande et à petite échelle.
J’essaie d’inclure dans la discussion de nouveaux acteurs capables d’agir à plus grande échelle. Par exemple, je travaille en étroite collaboration avec Mondragon, la plus grande coopérative industrielle au monde. Mondragon a créé de toutes pièces son propre écosystème d’innovation sociale. Elle a mis sur pied ses propres écoles, ses propres entreprises, ses propres banques, ses propres universités — tout — en des temps très difficiles.
Qu’apprenez-vous en ce moment?
Nous achevons notre travail avec Mondragon, et je découvre non seulement la logique du secteur privé, mais aussi les liens entre le secteur et les transformations sociales. J’apprends également beaucoup sur la dimension culturelle de l’innovation et des processus de transformation.
Comment décririez-vous la dimension culturelle de l’innovation sociale?
J’ai participé à l’analyse de la transformation au Pays basque. Le territoire vivait une situation extrêmement difficile il y a à peine quelques années. Maintenant, il possède un modèle socioéconomique qui place l’égalité au cœur du système. Nous avons demandé aux acteurs clés de cette transformation la raison pour laquelle ils avaient pris certaines décisions. Prenez, par exemple, la décision de construire à Bilbao le Musée Guggenheim conçu par Frank Gehry. L’idée a été applaudie à l’échelle mondiale, mais elle semblait folle à l’époque. C’était irrationnel de penser à installer le Musée Guggenheim à Bilbao, car les conditions étaient tout sauf favorables.
Aucun des principaux protagonistes à qui nous avons parlé n’a affirmé avoir « pris une décision » ou avoir « fait le bon investissement ». Ils ont tous mentionné les valeurs. Ils ont tous dit avoir œuvré dans le respect des valeurs orientant la transformation de leur société. Ces valeurs les ont aidés à se créer une histoire ambitieuse ancrée dans la réalité et à prendre des décisions.
Ces observations correspondent aux résultats de nombreuses recherches sur les décisions esthétiques à long terme, qui sont normalement prises en fonction de certaines valeurs. Il y a des données qui démontrent comment les décisions sont prises. À tout coup, on observe une combinaison de réflexions rationnelles et d’idées basées sur les valeurs. Mais nous n’avons pas vraiment exploré l’universalité des espaces culturels. À l’aide d’une méthode ethnographique, nous avons cerné cinq valeurs fondamentales encore présentes à Mondragon à ce jour. Si nous pouvons prouver que des projets ont été menés à bien dans le respect d’un système de valeurs communes, nous pourrons comprendre la façon dont cette dimension culturelle s’intègre aux transformations réussies dans la sphère sociale, tant sur le plan territorial que thématique. Par culture, on entend l’ensemble des valeurs, les discours, les croyances et les décisions esthétiques d’un groupe, d’une ville ou d’une société à une période précise.
Certains aspects de l’innovation sociale sont-ils mal interprétés, selon vous?
Pour moi, la façon dont l’innovation se déroule sur le plan communautaire constitue un élément primordial. Je pense donc qu’il est totalement erroné d’entretenir le mythe de l’entrepreneur unique, de la Silicon Valley, de l’individualisme. Cette idée est complètement fausse, mais lorsqu’elle est concrétisée, elle entraîne des répercussions sociales négatives.
Les transformations positives s’opèrent quand chacun sent qu’il a le droit d’innover. Nous avons observé ce phénomène en collaborant avec Mondragon ainsi que dans le cadre de notre travail à Leeds, au Royaume-Uni, et nous l’étudions actuellement à Montréal.