Perturber les codes journalistiques

Desmond Cole

Journaliste et activiste, Desmond Cole est l’auteur d’articles parus dans le Toronto Star, le Torontoist, le Toronto Life et d’autres publications. Son documentaire The Skin We’re In a été diffusé par la CBC en 2017.

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Bienvenue à Countless Rebellions, la série de balados qui explore les limites et le potentiel de l’innovation sociale en compagnie de chercheurs, de praticiens et d’activistes de tout le Canada. Cette série est produite à Montréal, sur le territoire traditionnel non cédé des peuples Kanien’keha:ka, aussi appelés Mohawks, qui a longtemps servi de lieu de rassemblement et d’échange entre les nations.

Dans cet épisode, je m’entretiens avec le journaliste et activiste Desmond Cole. Nous analysons en quoi il considère que le journalisme, son métier, constitue une partie essentielle du processus d’innovation. Jeune, il rêvait de devenir musicien, médecin et athlète.

Cole : J’ai eu de nombreux rêves quand j’étais enfant. Aucun d’entre eux à propos de ce que je fais maintenant.

Ce qu’il fait maintenant consiste à changer la façon dont la société en général et les Canadiennes et les Canadiens en particulier voient la race et la discrimination. Il y parvient en relatant des histoires, en suscitant l’intérêt des gens et en exprimant ses idées par écrit.

Cole : Je crois que ce qui n’a jamais changé depuis mon enfance, c’est mon goût pour l’écriture. C’est quelque chose qui m’est venu tout naturellement. Quand j’étais enfant, à partir de l’âge de sept ans environ, je me procurais des cahiers reliés et lignés et je tenais un journal. C’est donc quelque chose qui a commencé quand j’étais petit et qui n’a jamais vraiment cessé, peu importe ce que je faisais d’autre dans la vie. Vers le début de la vingtaine, j’ai déménagé à Toronto. Je ne faisais rien de spécial, je ne savais pas ce que je voulais faire, j’avais décroché de l’Université Queen’s. Comme beaucoup à cette époque, j’ai entendu parler du blogage, et grâce à Internet, c’était facile de publier. Au début, je ne me préoccupais pas vraiment de savoir qui me lisait. Je le faisais pour moi.

En effet, les gens manquent de perspectives d’avenir et de soutien social, ce qui explique l’instabilité, la criminalité et le dysfonctionnement social.

Je tenais un blogue, j’attendais d’avoir un sujet en tête ou qui m’allumait vraiment, puis j’écrivais dessus et je mettais ça en ligne. Un jour, je me souviens que c’était il y a dix ans environ, il y a eu un débat à Toronto concernant l’idée de poster des policiers dans nos écoles secondaires. Je crois que c’est devenu banal aujourd’hui, mais à l’époque, c’était nouveau, et j’étais vraiment contre. Bien sûr, je le suis encore. On en parlait en ville, et je me disais : « C’est de la folie. Comment expliquer aux gens que c’est une très mauvaise idée? »

J’ai donc écrit un article pour mon blogue, qui comparait une école à une banque. Mon argument était le suivant : quand on entre dans une grosse banque, dans le centre-ville de Toronto, la plus grosse ville du pays, on ne voit personne protéger la banque avec une arme à feu. Les gardes de sécurité sont présents, on les voit, mais ils n’ont pas d’armes à feu. Les banques ne veulent pas instiller la peur chez les gens qui passent le pas de la porte. Elles veulent les mettre à l’aise et qu’ils se sentent bien et en sécurité. On n’atteint pas cet objectif en plaçant une personne avec une arme à feu. De plus, dans le pire des cas, si quelqu’un devait réellement utiliser son arme à feu à l’intérieur d’une banque, ou avait l’impression de devoir le faire, les conséquences seraient horribles, entre autres pour l’atmosphère et les relations publiques. Oui, il y a beaucoup d’argent là-dedans, mais l’argent est assuré, alors ça ne vaut pas la peine que quelqu’un reçoive une balle. Il faut laisser la personne prendre l’argent et s’enfuir. Avec de la chance, elle sera rattrapée. Voilà ce qu’il faut faire.

Alors si on peut considérer qu’il est trop dangereux d’avoir une arme à feu à l’intérieur d’une banque, pourquoi diable laisserions-nous quiconque apporter une arme à feu dans une école? Quiconque, même un policier.

C’est donc la façon dont j’ai développé cet argument. Il y avait une publication appelée Torontoist, où je connaissais certaines personnes qui écrivaient et faisaient de l’édition. Elles m’ont jointe après la publication de ce texte dans mon blogue. Elles m’ont dit : « Ton texte nous intéresse vraiment. Nous aimerions le reproduire dans le Torontoist. » J’étais très surpris, parce que je n’avais pas une grande confiance dans mon écriture. Personne ne m’avait jamais demandé quelque chose comme ça auparavant. J’étais content, et j’ai répondu : « Bien sûr! » Voir mon travail publié par un autre, à 24 ans, quand ça n’a jamais été réellement mon but… ça m’a vraiment plu. Je n’avais été publié que dans mon journal local, dans le courrier des lecteurs. Une fois, à l’université, j’ai fait le malin et j’ai envoyé une lettre au Globe and Mail, et elle a été publiée. J’ai vraiment aimé ce sentiment d’être publié.

Pour moi, l’innovation sociale, c’est vouloir prendre quelque chose de traditionnel et le retourner, le transformer radicalement, changer la façon dont nous voyons le monde. Dans mon cas, il s’agit de changer la façon dont nous voyons le journalisme, de faire du journalisme d’une façon audacieuse et unique. Ces temps-ci, quand je me présente comme journaliste et activiste, les gens me disent : « Comment pouvez-vous faire les deux à la fois? » C’est là qu’entre en jeu mon idée d’innovation sociale. Nous vivons actuellement dans un monde où les conventions du journalisme sont grandement remises en question. Souvent, on en parle d’un point de vue commercial. Comment les journalistes et les médias, surtout les journaux ces temps-ci, peuvent‑ils faire de l’argent? C’est là-dessus que porte notre débat sur les changements dans le journalisme. Moi, par contre, je m’intéresse toujours davantage à la façon dont nous faisons notre travail de journaliste, vous voyez? Ce travail doit changer. Je n’ai jamais fait d’études en journalisme. Je ne suis pas passé par le chemin d’apprentissage officiel. J’ai appris sur le tas. Toutefois, l’expérience m’a appris qu’hier comme aujourd’hui, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas du tout dans la façon de former les journalistes. Cette formation n’est plus en phase avec les besoins actuels du journalisme. C’est là que l’innovation entre en scène.

Le journalisme a mal vieilli. Il est devenu franchement incapable de s’adapter au contexte dans lequel les journalistes doivent travailler quotidiennement. J’ai l’impression que si nous prenons vraiment au sérieux notre travail de journalisme, si nous nous voyons autrement que comme un objectif neutre ou un microfilm impartial, qui enregistre simplement ce qui se passe, nous ne pouvons pas faire notre travail. C’est notre travail d’analyser les sujets que nous couvrons, et d’intégrer directement cette analyse à notre façon de travailler. Alors je suis aussi activiste, mais c’est parce que pour moi, le journalisme est un moyen de changer réellement le monde. Je ne veux pas raconter l’histoire et laisser le public décider. J’ai déjà tiré mes conclusions. J’essaie de les promouvoir d’une façon qui, j’espère, sera profitable et contribuera à un changement social positif. Je rejette donc les concepts d’objectivité et de neutralité en journalisme, en partie parce que je crois qu’ils n’ont jamais existé. Je ne crois pas en ces idéaux d’objectivité et de neutralité. Nous avons tous nos préjugés. Nous les exerçons chaque jour au travail. Par contre, je crois qu’il est très important d’être honnête à propos de nos préjugés, parce que quand nous présentons notre travail, les gens peuvent le lire, l’écouter et le consommer à travers nos lunettes. Il n’y a rien de mal à ça.

Je ne peux pas prétendre que je suis un robot et que je n’ai pas analysé le monde de mon point de vue. Je crois que ce qui est irresponsable, c’est justement de ne pas apporter mon analyse. Si je suis franc avec le lecteur au sujet de mon analyse, eh bien il a un cerveau et du vécu, il peut se faire son opinion. Par contre, je lui présente mon filtre au travers duquel j’analyse le monde. À vrai dire, j’ai toujours une responsabilité dans cette démarche. J’ai la responsabilité d’être exact. Je dois faire correctement mon travail de journaliste. Cet aspect du journalisme n’a pas changé. Mais j’espère que comme journalistes, nous commençons à voir que nous devons laisser tomber cette notion très occidentale, patriarcale et coloniale que la réflexion est objective et très détachée. Ça ne règlera pas les problèmes actuels du monde, des problèmes qui doivent réellement être résolus.

C’est facile de voir l’innovation comme un nouveau produit ou une nouvelle méthode. Cependant, Desmond pousse le concept plus loin en tentant de changer notre perception des problèmes et de nous changer radicalement nous-mêmes d’abord, afin de réévaluer les raisons pour lesquelles les situations nous apparaissent d’une certaine façon.

Cole : Abandonner les suppositions. Abandonner ce qui nous rassure, ce qui renforce nos opinions antérieures et qui confirment les préjugés que nous avions déjà. Juste se dire : je m’en débarrasse. Alors on enlève une autre couche, vous voyez? Ça veut dire que comme personne, on doit faire ce travail sur soi-même avant de tenter de résoudre les problèmes des autres. En gros, je crois que l’innovation sociale consiste à changer de façon de voir le monde. Nous avons une façon de voir la conception, la police, l’éducation, et nous nous servons de certaines hypothèses de base pour orienter notre façon de faire les choses en ce monde. Je crois que l’innovation sociale consiste à dire : « Pourquoi ne remettons-nous pas en question le fondement même qui motive nos façons de faire? Penchons-nous, par exemple, sur la police. » J’ai fait un exposé récemment, où j’ai cerné la question policière de la façon suivante : j’ai dit que si nous réfléchissions réellement au travail des policiers et que nous demandions à n’importe qui en quoi il consiste, la plupart des gens vous répondront : « Eh bien, leur travail consiste à s’assurer que les gens sont en sécurité. » Fondamentalement, je suis d’accord. Par contre, il y a un problème. En Amérique du Nord comme dans de nombreux pays occidentaux, il y a un problème fondamental avec la philosophie policière. D’après cette philosophie, il faut pouvoir blesser des gens pour les garder en sécurité. Cette philosophie implique incidemment que vous devez pouvoir, dans certains cas, tuer des personnes pour assurer cette sécurité. Je dois vous dire que je suis fondamentalement en désaccord avec cette prémisse. Il est nécessaire de la remettre en question si nous voulons faire des progrès.

Je réponds que si vous n’aviez pas en permanence cette échappatoire, si vous ne pouviez pas sans cesse échapper à un débat épineux sur votre propre pays en aiguillant la conversation sur les États‑Unis et en faisant abstraction de tout ce qui se passe ici, de quoi aurait l’air votre Canada?

Je crois que l’une de mes plus grandes responsabilités, comme journaliste et comme activiste, est de dire aux gens : « La façon dont vous concevez le monde pourrait être complètement fausse, et vous devez avoir la volonté d’y faire face. » Je ne veux pas réconforter les gens avec mon travail. Alors c’est vrai : je suis très direct. Je suis extrêmement contestataire. Certains diraient controversé. J’espère bien être controversé. C’est vraiment important et nécessaire pour moi en particulier, entre autres parce que je parle d’identité. Plus précisément, en tant qu’homme noir, je parle de racisme contre les Noirs et de suprématie blanche au Canada. Juste le fait que j’en parle est en soi extrêmement dérangeant pour les gens. Que voulez-vous dire par « suprématie blanche »? Que voulez-vous dire par « racisme contre les Noirs »? Que voulez-vous dire par « violence »? Êtes-vous vraiment sérieux lorsque vous affirmez que ces choses affectent notre quotidien au Canada? Des réactions du genre : comment pouvez-vous dire cela?

Je crois qu’il en va de ma responsabilité de dire : « Eh bien, si vous êtes disposé à écouter, je vais vous expliquer tout ça. Vous devrez remettre en question beaucoup de choses que vous tenez pour évidentes à propos de votre pays. Des choses qui vous ont été enseignées depuis votre enfance. Des idéaux qui ont été implantés en vous et qui vous font croire que, pour le meilleur et pour le pire, le Canada est un endroit où il fait assez bon vivre. »

Vous savez quoi, pour le meilleur et pour le pire, le Canada est sans aucun doute mieux que les États‑Unis. Voilà le mythe fondateur de notre pays : cette comparaison permanente avec les autres là-bas, au sud. Je réponds que si vous n’aviez pas en permanence cette échappatoire, si vous ne pouviez pas sans cesse échapper à un débat épineux sur votre propre pays en aiguillant la conversation sur les États‑Unis et en faisant abstraction de tout ce qui se passe ici, de quoi aurait l’air votre Canada?

La Ville de Toronto vient tout juste d’adopter son budget hier : la ville dans laquelle nous vivons consacre 10 % de son budget à la police. Techniquement, la Ville de Toronto est une personne morale au même titre qu’une entreprise. Je ne connais aucune entreprise au monde qui injecte 10 % de son budget dans la sécurité. À vrai dire, c’est de la folie. À la Ville de Toronto, toutefois, c’est comme ça. Dans notre ville, nous nous disputons toujours au sujet des questions suivantes : comment financer le logement, des places de garderie et le transport en commun, comment rendre notre ville sécuritaire et accessible, comment en faire un endroit où les gens veulent vivre, comment faire pour que les gens puissent y vivre paisiblement, en sécurité et de façon productive? Eh bien, je crois que pour avoir un tel avenir, nous ne pouvons pas affecter 10 % de notre budget à la police. Mais cette question suscite une grande controverse. Cette controverse concerne la modification de la structure policière actuelle.

Je crois que changer fondamentalement la façon dont se fait le travail policier à Toronto et au Canada serait une énorme innovation sociale. Ce changement dégagerait beaucoup d’argent pour des choses dont nous avons vraiment besoin et qui augmenteraient réellement notre sécurité. En effet, les gens manquent de perspectives d’avenir et de soutien social, ce qui explique l’instabilité, la criminalité et le dysfonctionnement social. Quand on veut résoudre ce problème en investissant tout son argent dans la répression, c’est‑à-dire dans les forces policières, il ne reste rien pour les autres. Ce que je veux vraiment accomplir avec mon journalisme, c’est une grande partie de ce travail si difficile, celui de convaincre les gens que cette philosophie policière est défaillante. Selon cette même philosophie, il faut lutter contre les problèmes sociaux en dépensant 10 % de tout l’argent sur des patrouilleurs armés qui ont le droit de circuler et de blesser des personnes, et même de les tuer s’ils le croient nécessaire; c’est de cette façon que la sécurité et l’ordre seraient maintenus. Or, je crois que cette philosophie a fait faillite. Mais ce n’est pas l’opinion prévalente.

Nous parlons donc d’un changement de paradigme. Si on veut faire passer ce budget de 10 % à un pourcentage plus raisonnable et redistribuer ces ressources, il faut d’abord convaincre les gens que la philosophie justifiant toutes ces dépenses ne fonctionne pas. Comment y arriver? Selon moi, il faut montrer les effets réellement nocifs et contreproductifs du travail policier tel qu’il est fait actuellement. Par conséquent, il faut rencontrer les gens des quartiers les plus négativement affectés par ce travail policier et leur dire : « Racontez-moi votre histoire. Racontez-moi l’histoire de votre famille. Dites-moi pourquoi vous ne vous sentez pas à l’aise à l’idée d’appeler la police lorsqu’un incident dégénère. » Mais il faut aussi poser certaines questions vraiment élémentaires qui, d’après moi, relèvent du bon sens. Lorsque quelqu’un se plaint de la musique trop forte de son voisin immédiat, faut‑il, pour résoudre leur différend, envoyer une personne payée 90 000 $ par année et portant une arme à feu, un pistolet électrique et une matraque? Exprimé comme ça, ça a l’air ridicule. Pourtant, dans cette grosse ville, c’est ce genre de personne que nous envoyons pour répondre, chaque année, à des milliers de plaintes pour bruit. Alors, si nous faisons preuve de bon sens et que nous envoyons quelqu’un d’autre à moindre coût et réduisons ainsi les risques de conséquences catastrophiques, à quoi pourrions-nous consacrer les ressources et les sommes dégagées? Et quel sentiment accru de sécurité en retirerions-nous? Ne nous sentirions-nous pas mieux si la répression n’était pas nécessaire pour résoudre tous ces problèmes? On commence par se demander pourquoi notre ville ne répond pas à nos besoins et on comprend que c’est entre autres à cause de tout cet argent dépensé pour la police, dont les pratiques peuvent être incroyablement violentes et destructrices. Le dur travail qu’il faut faire est de convaincre les gens de ce que je viens de dire pour qu’ils puissent commencer à rechercher des solutions de rechange. Ils se mettront à le faire lorsque vous les aurez convaincus que la situation actuelle est préjudiciable.

Je ne m’empêcherai jamais de partir du singulier pour aller jusqu’au général. Dans mon cas, ça signifie de parler surtout du fait d’être noir, d’insister vraiment sur le racisme contre les Noirs, la suprématie blanche, ainsi que leur incidence sur moi en tant que personne, sur ma communauté, sur les personnes d’origine africaine dans tout le pays. Parce que si on améliore notre sécurité, si on améliore les résultats pour nous qui sommes aux prises avec des difficultés, nous qui nous faisons interpeller par la police, qui nous faisons arrêter, qui nous faisons battre, qui allons prison, qui nous faisons expulser de l’école, si on améliore les résultats pour nous, qui vivons ces situations beaucoup plus que n’importe qui d’autre, dans l’ensemble, ça fait une différence, vous voyez? On va dans les endroits où les difficultés sont les plus grandes, et on travaille à partir de là. Nous n’aimons pas ça, au Canada, parce que ça nous rend mal à l’aise. Ça nous met mal à l’aise d’admettre qu’un groupe en particulier de personnes facilement identifiables est traité injustement et de façon négative. Pourtant, nous ne réglerons jamais le problème si nous ne passons pas par là. Alors dans mon travail, je veille à ne pas m’excuser d’insister fortement sur le fait d’être noir, parce qu’améliorer la vie des Noirs au Canada, c’est améliorer la vie de tous. Je n’ai pas honte de l’affirmer.

Parfois, un changement révolutionnaire semble clairement nécessaire. Cependant, une réforme politique à grande échelle peut sembler irréalisable. L’innovation sociale propose plutôt de mener des expériences au sein de l’ordre en place. À votre avis, pensez-vous que ces expériences peuvent être révolutionnaires? Comment gérez-vous personnellement la tension entre ce qui est pragmatique et ce qui est suffisant?

Cole : J’aime toujours revenir à ce que nous sommes en tant qu’humains; je crois donc que fondamentalement, nous aimons la stabilité. Les changements rapides font peur, et c’est compréhensible. Pour les gens, le mot « révolution » évoque des images de violence. Le changement est causé par un énorme bouleversement social accompagné de violence, ce qui ne nous aide pas. Nous ne voulons pas d’un changement qui soit trop rapide, sans planification soignée et qui n’emporte pas l’adhésion des gens, vous comprenez? Cela dit, quand j’y pense, je tends beaucoup plus du côté révolutionnaire. Je vais vous dire pourquoi.

Il y a toujours place au changement dans le système actuel. Toujours. Parce que pendant qu’on pense à des moyens d’améliorer la situation à long terme, on a des occasions d’améliorer la vie des gens au quotidien. Il faut saisir ces occasions. Pour ça, il faut travailler au sein du système déjà en place. Je n’ai pas de problème avec ça. Je crois à ce genre de travail pour un changement progressif. Cependant, vous exposez l’autre aspect de la question : ce travail n’est jamais suffisant. Les problèmes auxquels nous faisons face comme êtres humains sont si importants que nous n’atteindrons pas assez rapidement nos objectifs si nous nous contentons d’y aller par petites étapes successives. Parfois, il faut en faire beaucoup plus. Et ça, c’est ce qui m’intéresse vraiment. Je conviens que le pays dans lequel nous vivons, le Canada, est relativement paisible; pour être honnête, c’est une des plus riches nations au monde, où nous avons le meilleur niveau de vie, le meilleur système de soins de santé, la meilleure espérance de vie. Ces choses ne doivent pas être tenues pour acquises. Vous voyez? Nous les avons, et c’est bien. Toutefois, quand aurons-nous le courage d’en faire plus? De dire : « C’est bien, mais ce n’est pas assez »? C’est ce qui est toujours le plus important pour moi dans des situations où des vies humaines sont détruites, où la qualité de vie humaine et l’existence humaine sont détruites.

Ce que je dis, c’est qu’il y a des cas dans lesquels il est absolument nécessaire de faire preuve d’un esprit révolutionnaire, et ces situations sont celles où les êtres humains souffrent le plus. C’est pourquoi mon travail est tellement axé sur des sujets comme la police. Nous savons que dans n’importe quel pays, avoir des démêlés avec la police est une des pires choses qui peuvent vous arriver. C’est une des choses qui nuisent le plus à votre qualité de vie. Alors quand il s’agit de la police, je n’accepte pas les méthodes progressives. C’est tout simplement trop grave. Je n’accepte pas les méthodes progressives quand il s’agit de notre système de justice pénale. Lorsque l’échec entraîne la mort ou le désastre humain, c’est le temps de se montrer radical. Le temps est venu de laisser tomber la politique des petits pas et de se concentrer sur ce qui est nécessaire pour assurer aux gens normaux la sécurité, le bien‑être et des perspectives d’avenir.

[Thème musical de conclusion]

Merci d’avoir été des nôtres. Je suis Scott Baker, et ceci est le balado Countless Rebellions, qui vous est offert par la fondation McConnell. Pour en apprendre davantage, écoutez sans faute nos autres épisodes. Si vous y découvrez quelque chose d’intéressant qui pourrait plaire à quelqu’un, faites-le-lui connaître. Countless Rebellions est produit par Adjacent Possibilities, en collaboration avec Brothers DePaul. Pour en apprendre davantage sur la fondation McConnell et le travail de ses titulaires de subvention, rendez-vous au mcconnellfoundation.ca.