Expérimenter en matière d’engagement démocratique

Dave Meslin

Dave Meslin est directeur de la création à Unlock Democracy Canada, une campagne nationale axée sur le renouvellement de la démocratie et le gouvernement proportionnel. Il a plus de vingt ans d’expérience comme entrepreneur social et politique et a fondé plusieurs organismes à but non lucratif.

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Bienvenue à Countless Rebellions, la série de balados qui explore les limites et le potentiel de l’innovation sociale en compagnie de chercheurs, de praticiens et d’activistes de tout le Canada. Cette série est produite à Montréal, sur le territoire traditionnel non cédé des peuples Kanien’keha:ka, aussi appelés Mohawks, qui a longtemps servi de lieu de rassemblement et d’échange entre les nations.

Dans cet épisode, je m’entretiens avec l’activiste et organisateur communautaire Dave Meslin pour parler de l’expérimentation, ainsi que des leçons que les organismes à but non lucratif et de bienfaisance peuvent apprendre du secteur privé.

Meslin : Je m’appelle Dave Meslin. Je suis un organisateur communautaire indépendant et impartial. Je rédige actuellement un livre sur la façon dont nous pouvons sauver la démocratie.

Dave a fait beaucoup de choses dans la vie : il a fondé un organisme de promotion des élections à vote préférentiel, appelé RaBIT, il a dirigé des initiatives de sauvetage d’espaces publics à Toronto et il fait même partie d’un groupe de rock. Ce qui pourrait surprendre, c’est que Dave n’est jamais allé à l’université.

Meslin : Tout de suite après l’école, je ne suis pas allé à l’université. J’avais vraiment l’esprit entrepreneurial. Je voulais gagner mon propre argent et être mon propre patron. J’ai alors démarré mon entreprise de sérigraphie. J’ai acheté quelques machines et loué un espace industriel. J’avais 19 ans. Mais à partir de ce moment-là, je sentais vraiment que je voulais m’engager en politique et dans l’activisme. Je me suis alors plongé dans la scène anarchiste et anticapitaliste du centre-ville, qui est très dynamique et qui m’a stupéfié. Je ne connaissais pas son existence. Durant la vingtaine et la trentaine, j’ai découvert le secteur à but non lucratif, le secteur de la bienfaisance, le fonctionnement des partis politiques, l’organisation sur le terrain. Chaque fois, je suis sorti convaincu qu’on pouvait faire beaucoup mieux. J’ai aussi constaté que le mot « rigged » (truqué) que Donald Trump utilise sans cesse me rejoignait. Je crois que le système est truqué. Pas contre la gauche ou la droite, ou contre ceci ou cela. Il est truqué contre le peuple. Il est truqué contre l’engagement. Il est cynique en ce qui concerne les capacités des gens ordinaires. Une certaine élite politique a l’impression d’avoir toutes les réponses. En ce moment, mon travail est vraiment centré sur l’idée suivante : comment pouvons-nous remplir la promesse initiale de la démocratie, qui est de croire au peuple? Non pas de croire en des leaders ou en des sauveurs, mais de croire en la sagesse collective de nos voisins. Nous n’y sommes pas encore. Et je crois que tant que nous n’y serons pas, nous serons dans le pétrin.

Dave transmet tout son apprentissage dans un livre qu’il rédige pour [la maison d’édition] Penguin.

Meslin : Eh bien, mon livre repose sur la prémisse suivante : créer une culture d’engagement n’est jamais facile. C’est pourquoi le titre [du livre] est « 100 Remedies for a Broken Democracy » (100 remèdes pour une démocratie détraquée). Ce livre est divisé en dix chapitres : chacun d’entre eux analyse une façon distincte dont notre société perpétue culturellement le désengagement. Un chapitre porte sur toutes ces choses habituelles auxquelles on pense : nos élections, y compris la réforme du financement des campagnes, le système uninominal majoritaire à un tour, et tout ça. Un autre chapitre porte sur le système d’éducation et sur la façon dont y est enseignée l’obéissance, plutôt que la pensée critique et la confiance. Je parle du secteur à but non lucratif, qui devrait être un espace dynamique et innovateur de changement social; et pourtant, contrairement au secteur privé, je constate qu’il est très vieux jeu, vraiment peu enclin au risque, très rouillé et oligarchique. Il y a une touche amusante dans mon livre : je reviens constamment à ce thème de diriger un gouvernement comme une entreprise. D’habitude, ce slogan extrême, associé à la droite, signifie : « Limitons la taille de l’État et épargnons de l’argent en réduisant les coûts! » En fait, si vous regardez le secteur privé, les entreprises dépensent des tonnes d’argent pour l’expérience utilisateur, la confiance des clients, le confort des clients, le marketing, les communications et la marque. L’une des choses qui nous manquent, tant dans les secteurs à but non lucratif que gouvernemental, c’est… toutes ces choses! Alors en guise de boutade, je dis : « Oui, administrons le gouvernement comme une entreprise! » Pourquoi ne pas nous lancer dans l’innovation? Pourquoi ne pas nous pencher sur l’expérience des utilisateurs? En pourquoi ne commencerions-nous pas à investir dans le marketing et l’image de marque de la même façon que le font Coke, Shell et The Gap?

Je me sens un peu comme un mouton noir en ce moment, c’est‑à-dire que mes opinions sur ce qui doit changer sont vraiment en opposition avec une grande partie de ce que j’entends des élites politiques et de la gauche. Et j’ai tendance à me classer un peu au centre-gauche. Analysons le mot « populiste ». Il est utilisé de façon péjorative par les médias et par plein de gens. Leaders « populistes », plateformes « populistes ». Le populisme signifie faire confiance aux masses, tenter de les joindre et les convaincre d’adhérer à une idéologie qu’elles aiment. On utilise le mot populiste de façon péjorative quand on ne croit pas au peuple. Et si on ne croit pas au peuple, on ne croit pas à la démocratie. Je suis donc vraiment inquiet de voir le populisme jugé comme étant le problème. Le populisme est la réponse. À mon avis, le changement dont nous avons besoin n’est pas qu’un minable slogan symbolique allant du bas vers le haut. Il s’agit vraiment de changer notre façon de voir non seulement où le pouvoir doit résider, comme cette belle opinion idéologique du type « Oh, les gens doivent avoir plus de pouvoir », mais aussi de croire réellement que les décisions les plus sages, les plus durables et les plus équitables ne peuvent venir que d’un effort pleinement engagé, collaboratif, du bas vers le haut. Ça se fait par nécessité, pas par idéologie. Le pouvoir par le peuple. Nous n’y sommes pas. Nous n’en avons jamais été aussi loin, parce que nous utilisons le mot « populisme » de façon péjorative.

Comment cette confiance dans le populisme devrait‑elle influencer le secteur bénévole et communautaire, les organismes de bienfaisance, les entreprises sociales et les organismes à but non lucratif?

Meslin : Je crois que l’une des choses que mon travail m’a apprises, c’est qu’au fond, diriger sa propre entreprise et diriger des campagnes de sensibilisation pour le secteur à but non lucratif, c’est la même chose, non? Vous avez une seule source de revenus : les gens. Je veux dire, je suppose qu’il y a aussi des fondations dans le secteur à but non lucratif. Mais si on veut vraiment être durable, il faut que les gens normaux fassent des dons. Si je vends un produit, je dois convaincre Monsieur Untel que mon produit vaut le prix affiché, puis nous faisons un échange. Vous me donnez de l’argent, je vous donne une pointe de pizza. Dans le secteur à but non lucratif, je dois vous convaincre que si vous me donnez dix dollars par mois, je rendrai le monde meilleur, et tout le monde sera plus heureux. Si j’échoue à vous convaincre, vous ne me donnerez pas les dix dollars. Si vous me donnez les dix dollars puis, un an plus tard, vous n’estimez pas en avoir eu pour votre argent, vous ne me redonnerez pas dix dollars, tout comme vous allez prendre votre pizza ailleurs si la mienne n’est pas bonne. Alors [les deux secteurs] fonctionnent déjà selon le même modèle, et les mesures que nous devrions utiliser, je crois, sont très similaires dans les deux cas.

Il y a peut-être 50 ans, je ne sais pas parce que je n’ai que 42 ans, peut-être qu’il y avait cette distinction claire entre, d’un côté, les méchantes entreprises qui violaient la planète pour du pétrole, et de l’autre, les bons activistes. J’ai l’impression que maintenant, cette distinction a complètement disparu : les entreprises pétrolières passent des publicités à la télévision expliquant comment elles sauvent le monde d’une certaine façon, et les organismes à but non lucratif tentent de trouver comment, vous savez, équilibrer leurs colonnes de revenus et de dépenses, n’est-ce pas? Alors tout le monde cherche comment faire rentrer de l’argent, diminuer ses dépenses et atteindre ses objectifs. En fait, je crois que même les plus grosses sociétés comptent un paquet de gens dans leurs conseils d’administration qui veulent rendre le monde meilleur, que ce soit une entreprise de sables bitumineux, d’automobiles, ou même d’armes à feu. Peut-être ont‑ils l’impression qu’en fabriquant des armes à feu, ils protègent des gens. Je ne sais pas. Les gens ont des enfants. Les gens se soucient les uns des autres. Ils se soucient de leurs voisins. Je crois que tout le monde, dans n’importe quelle salle de conseil d’administration, celle de Greenpeace ou celle de Shell, essaie de trouver comment s’assurer d’être satisfait de son travail en revenant à la maison à la fin de la journée. La dichotomie entre les secteurs à but lucratif et à but non lucratif pose tellement de problèmes.

Et qu’est-ce que le secteur privé peut apprendre au secteur bénévole et communautaire en matière d’innovation?

Meslin : La meilleure façon d’en juger, c’est lorsqu’on constate que ce ne sont pas les grosses entreprises qui innovent, mais celles en démarrage. Les entreprises en démarrage stimulent l’innovation. C’est ce qui pousse ensuite les grosses au changement. Soit elles font des acquisitions, quand elles avalent littéralement les petites entreprises en les achetant, lorsqu’elles se disent : « Ah, cette nouvelle application est chouette. Pouvons-nous l’acheter? ». Ou encore elles les imitent, c’est‑à-dire qu’elles les dépouillent dans les limites de la loi. Si ces entreprises ne s’adaptent pas, elles déclinent lentement. Ça ressemble beaucoup à une forêt dont les vieux arbres meurent et les nouveaux poussent. Je crois donc que c’est une erreur de dire : « Comment amener les gros joueurs comme Greenpeace, Amnistie et la Croix-Rouge à innover? » La question serait plutôt : comment faire de la place aux nouveaux petits organismes à but non lucratif pour qu’ils puissent gagner une part de 1 %, de 2 % ou de 3 % du marché? De sorte qu’ils soient assez durables pour influencer le travail des gros organismes.

Ce qui manque dans le secteur à but non lucratif, c’est cette volonté d’encourager et de créer un environnement permettant aux organismes en démarrage de réussir. C’est en partie parce que les groupes anciens forment une sorte d’oligopole. Ils font un excellent travail; je ne critique pas du tout Amnistie ou Greenpeace. Toutefois, si nous allons dans la rue [demander aux passants] : « Si vous aviez 20 dollars à donner à un groupe environnemental, à qui le donneriez-vous? », ils répondront : « Greenpeace, à vrai dire, c’est le seul groupe que nous connaissons. » À Toronto, ils diraient peut-être la Toronto Environmental Alliance, mais ces deux groupes sont présents depuis des décennies.

Si vous prenez le secteur privé, que vous enlevez les innovations des 30 dernières années et gardez uniquement les mêmes joueurs que dans les années 70, eh bien vous imaginez les résultats. Vous voyez? Pas d’Uber, pas d’Apple, pas de personne qui bricole dans son garage pour inventer quelque chose.

Comment peut-on avoir ces innovateurs?

Meslin : Alors, tout d’abord, je crois que nous devons attirer des gens de programmes de MBA. Peut‑être pouvons-nous le faire en donnant une nouvelle image au secteur et en le débarrassant de cette notion archaïque et absurde, selon laquelle il n’y a que dans le secteur privé qu’on fait de l’argent, et pas dans le secteur à but non lucratif. Parce que c’est faux. On peut le constater, je crois, en se donnant la peine de faire des calculs. Les personnes au sommet, évidemment, devraient probablement aller dans le secteur privé si elles veulent devenir sacrément riches. [Par contre,] si vous voulez un gagne-pain honnête comme entrepreneur en démarrage, je parie que vous auriez de bonnes, et même de meilleures perspectives dans le secteur supposément à but non lucratif. Il faut alors donner une nouvelle image de marque à ce secteur, le réimaginer et en refaire le marketing pour le présenter comme offrant des occasions d’entrepreneuriat et de bons emplois, comme un secteur où la créativité est désirée, où vous pouvez être un entrepreneur et apporter une contribution positive, soit ce que certains appellent de l’innovation sociale. Encore là, toutefois, chaque fois que vous étiquetez quelque chose, vous le marginalisez. Vous obligez quelqu’un à prendre une décision. « Est-ce que je veux devenir un innovateur social? Est-ce que je veux travailler pour le Centre de l’innovation sociale? » Tout doit être socialement innovateur. Toutes les entreprises devraient avoir un triple résultat et tenter d’innover. Quiconque veut faire un effort pour réaliser un projet de sensibilisation financièrement durable devrait se voir comme une personne d’affaires, parce qu’il faut un modèle de revenus durable.

Faites-nous comprendre comment l’expérimentalisme peut mener à un monde meilleur.

Meslin : Il existe deux excellents exemples d’expérimentation menant à des résultats positifs optimaux. Le premier est la simple évolution des espèces, du corps humain et des millions d’années de mutation. L’autre est le secteur privé, dans lequel nous voyons sans cesse de nouvelles entreprises en démarrage faire ce que nous appelons maintenant de la « rupture », vous voyez? C’est‑à-dire qu’elles bouleversent un secteur; elles secouent jusque dans ses fondements la façon dont nous croyions qu’une industrie en particulier est censée fonctionner. Même si nous constatons ce phénomène tout autour de nous dans la biologie, dans les taxis et les hôtels, dans les ordinateurs portatifs et les téléphones mobiles, nous ne le voyons pas dans le secteur à but non lucratif. Ce qui nous manque, c’est ce gars dans le garage qui bricole quelque chose qui pourrait s’appeler Apple un jour, qui bidouille et qui a accès à certains capitaux de démarrage et à des revenus pour faire quelque chose de son rêve. Nous avons besoin de philanthropes qui prennent des risques et d’entrepreneurs dans les conseils d’administration, dans les laboratoires, dans les ateliers, à l’établi, n’importe où, pour bidouiller avec l’innovation sociale, ainsi que d’une alliance entre les deux. Ça se passe comme ça dans le secteur privé : vous avez des capitaux et vous avez des hurluberlus brillants qui arrivent avec des idées folles. Lorsque ces idées folles sont financées, 99 % d’entre elles échouent. Pourtant, c’est en finançant 100 idées qu’on en fait réussir une. Nous devons surmonter notre aversion au risque. Nous devons nous éloigner des produits livrables concrets, et nous devons consacrer des espaces à l’expérimentation. Enfin, nous devons faire confiance aux gens ordinaires et les laisser décider comment investir leur argent dans un certain genre de philanthropie démocratique qui libère le marché du changement social.

[Thème musical de conclusion]

Merci d’avoir été des nôtres. Je suis Scott Baker, et ceci est le balado Countless Rebellions, qui vous est offert par la fondation McConnell. Pour en apprendre davantage, écoutez sans faute nos autres épisodes. Si vous y découvrez quelque chose d’intéressant qui pourrait plaire à quelqu’un, faites-le-lui connaître. Countless Rebellions est produit par Adjacent Possibilities, en collaboration avec Brothers DePaul. Pour en apprendre davantage sur la fondation McConnell et le travail de ses titulaires de subvention, rendez-vous au mcconnellfoundation.ca.