Par Laura Beaulne-Stuebing and Cara McKenna
« La violence à l’encontre des femmes et des enfants ne connaît aucune frontière culturelle » ‑ La campagne Moose Hide cherche à accroître la sécurité grâce à des pratiques autochtones
La campagne Moose Hide a débuté modestement, avant de prendre une ampleur nationale pour mettre fin à la violence envers les femmes et les enfants autochtones. Elle est également devenue une occasion pour les Canadiens non autochtones d’entrer en contact avec les pratiques culturelles autochtones, d’en apprendre davantage à leur sujet et d’en faire l’expérience.
L’histoire de Moose Hide a commencé en Colombie‑Britannique, sur l’Autoroute 16, aussi appelée « Highway of Tears » (la route des pleurs), le long de laquelle ont disparu de nombreuses femmes autochtones. En 2011, Paul Lacerte et sa fille Raven chassaient l’orignal non loin de l’autoroute lorsqu’ils ont remarqué qu’ils se trouvaient tout près de ce lieu empreint de chagrin et de déchirement. Cette prise de conscience a suscité entre eux une discussion qui a débouché sur la création d’une campagne encourageant les hommes à prendre position contre la violence envers femmes et les enfants.
Au fil de plusieurs années d’un travail acharné, Paul, Raven et leur équipe ont pu étendre leur campagne à des collectivités, à des écoles, à des milieux professionnels et d’autres groupes à l’extérieur de la Colombie‑Britannique.
Leur partenariat avec les Jeux MBA constitue une étape en ce sens.
Les Jeux MBA se tiennent du 5 au 7 janvier 2018. Depuis deux ans, cette compétition annuelle entre des établissements offrant une maîtrise en administration des affaires a fait de la campagne Moose Hide son organisme de bienfaisance désigné. En 2017, au cours des Jeux accueillis par l’Université Vancouver Island, ce partenariat a permis de récolter 300 000 $ pour une initiative de Moose Hide appelée « Safe Spaces », qui vise à prévenir la violence envers les femmes sur les campus.
Les carrés de peau d’orignal représentent un engagement à mettre fin à la violence envers les femmes et les enfants. Des centaines de milliers d’hommes au Canada les ont épinglés au revers de leurs vêtements. Des politiciens aux chefs cuisiniers, en passant par des athlètes célèbres, tous ont affiché leur engagement en portant simplement un carré sur leur chemise ou leur chandail. Ce que le public ne voit pas, néanmoins, ce sont les quatre femmes autochtones qui coupent, un par un, les petits carrés de peau sur leur table de cuisine.
Emma Azzi et Eric Plant, présidente et vice-président des Jeux, ont indiqué que le thème des Jeux pour 2018 était « Plus ensemble » et qu’ils souhaitaient montrer aux futurs chefs d’entreprise et leaders communautaires qu’il est possible d’aller plus loin en travaillant ensemble et en créant des espaces propices à la diversité.
De plus, selon eux, la mission de la campagne Moose Hide correspond parfaitement à ce qu’ils tentent d’accomplir au travers des Jeux. Ils estiment que le partenariat arrive à point nommé, étant donné les discussions actuelles sur la réconciliation qui se déroulent au Canada.
Rencontre nationale
Des membres du comité d’organisation des Jeux ont assisté à la rencontre nationale annuelle de Moose Hide en octobre dernier à Ottawa. Cette rencontre était un événement majeur pour la campagne Moose Hide et pour ceux qui appuient son mandat. Les participants avaient la possibilité de jeûner selon les traditions et les cérémonies autochtones et de réfléchir à la violence infligée à grand nombre de femmes, d’enfants et de familles autochtones. À la fin de la journée, les participants ont rompu le jeûne au cours d’une cérémonie du coucher du soleil et d’un festin.
La fille aînée de Paul Lacerte, Sheralyn MacRae, découpe des peaux d’orignal depuis les débuts de la campagne. Durant la journée, elle travaille au sein du système scolaire. Le soir, son mari Andrew et elle découpent, poinçonnent et épinglent jusqu’à 500 carrés après avoir couché Jackson et Caressa, leurs enfants de huit et neuf ans. Mme MacRae vit sur le territoire de la Nation Saanich, juste à côté de Victoria.
Parmi les fonctionnaires ayant participé à la rencontre se trouvait Yaprak Baltacıoğlu, secrétaire du Conseil du Trésor du Canada. L’événement, raconte-t‑elle, sortait des pratiques sociales habituelles des Canadiens non autochtones et offrait à ces derniers une occasion d’observer au plus près la manière dont les peuples autochtones s’attaquent aux problèmes difficiles.
« C’était extraordinaire de voir les gens aborder une question dérangeante et sortir des sentiers battus. Ça a été très bénéfique. On est amené à faire preuve de compréhension et de respect d’une différente manière », explique-t‑elle.
« La rencontre s’est avérée une expérience de réflexion très riche pour les participants », ajoute-t‑elle.
Cette année marquait la première participation à la campagne du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui conseille les ministres fédéraux en matière de gestion et d’administration gouvernementales
» J’essaie de couper environ 500 carrés par jour, puis c’est mon mari qui les poinçonne parce que cela demande beaucoup de force. Ensuite, nous les épinglons. Nous essayons également d’en épingler 500 en une journée, mais nous n’en faisons pas tous les jours. Nous faisons ce que nous pouvons. Nous avons deux enfants, donc nous essayons généralement de faire ça le soir, quand ils sont couchés. «
Mme Baltacıoğlu admet que la campagne Moose Hide a bénéficié de plus de soutien parmi les employés du Secrétariat que ce à quoi elle s’attendait. Même le ministre, Scott Brison, a participé, ainsi que de nombreux hommes sous sa responsabilité.
« Dès qu’on en parle, tout le monde comprend qu’il s’agit d’un problème inquiétant dont il faut discuter, qu’il faut comprendre et qu’il faut régler », affirme Mme Baltacıoğlu.
Collaboration avec la police
Il était essentiel d’amener la police à s’engager dans la campagne. Avant de rejoindre la Gendarmerie royale du Canada (GRC), le surintendant de police en chef Trevor Daroux travaillait dans un petit service de police de l’Alberta. Il se souvient qu’à cette époque, la campagne Moose Hide n’en était encore qu’à ses débuts.
La GRC soutient Moose Hide depuis plusieurs années, mais à l’échelle divisionnaire seulement. M. Daroux précise que cette année, pour la première fois, la Direction générale de la GRC était représentée à la rencontre nationale. Cette campagne tient à cœur à la police.
» Les peaux viennent d’un peu partout. À l’heure actuelle, il est vraiment difficile d’en trouver qui soient tannées de façon traditionnelle, car il n’y a plus beaucoup de gens qui font ça, alors nos peaux sont souvent tannées industriellement. Je sais que, quand mon père trouve des peaux tannées de façon traditionnelle, il tient à soutenir les personnes qui font perdurer cette tradition. C’est une façon de continuer à utiliser ces méthodes traditionnelles. «
« Il n’est pas difficile de trouver un policier de première ligne pouvant témoigner d’occasions où il a constaté les dégâts causés par la violence envers les femmes et les enfants, ainsi que les dommages qu’elle engendre dans la vie des gens, dans les familles, dans les collectivités », a souligné M. Daroux.
« Par conséquent, les policiers sont vraiment touchés par des campagnes populaires comme celle-ci », a-t‑il ajouté. « C’est d’autant plus vrai pour les policiers de première ligne qui ont été témoins du problème. »
» Quand j’ai commencé, c’était simplement pour aider ma famille. Mon père et ma sœur étaient en train de lancer cette campagne, je me suis dit que ça avait l’air génial et que je pouvais les épauler. Depuis, la campagne a pris beaucoup d’envergure. Je travaille surtout avec des enfants autochtones et je vois des familles dans la collectivité qui portent les carrés. Il y a peu, j’étais à une conférence où j’ai rencontré une ancienne qui en portait un. Elle m’a raconté une histoire vraiment touchante à ce sujet. Elle m’a ouvert son cœur, en quelque sorte. Je me suis dit que le simple fait de partager cette petite histoire avec d’autres avait un impact énorme.
Je suis vraiment fière de dire que j’ai aidé à découper ces carrés. Le mois dernier, Justin Trudeau en portait un, et je suis certaine que c’est mon mari et moi qui l’avions découpé. «
Pour M. Daroux, l’aspect culturel est également crucial. N’importe qui a accès à des textes sur les cultures autochtones, mais faire l’expérience de ces cultures est une tout autre chose. Les personnes qui prennent part au jeûne et aux cérémonies de la journée ont l’occasion d’adopter le point de vue des Autochtones pour réfléchir à ce qu’elles ont appris.
« Elles peuvent vivre l’expérience et ressentir par elles-mêmes la force des cultures et des traditions autochtones », a expliqué M. Daroux.
» Je suis si fière que ce découpage permette à des femmes d’aider à subvenir aux besoins de leur famille et de contribuer à leur collectivité. Bon nombre de femmes qui découpent des carrés vivent sur la péninsule. Ici, le transport est un problème pour beaucoup de gens. Il n’y a pas beaucoup d’emplois flexibles comme celui-ci, et je crois que c’est aussi important.
Nous avons des trousses que nous donnons aux autres femmes. Elles reçoivent un tapis de coupe, un couteau rotatif et une règle. Ça fait toute une différence. Je sais que certaines des autres femmes qui découpent des carrés le font souvent en famille. Il me semble que toutes les femmes font la découpe sur leur table de cuisine. Aucune n’a un espace de travail distinct, et c’est bien, parce qu’elles peuvent travailler pendant que leurs enfants ou leurs petits-enfants jouent. C’est une manière merveilleuse de soutenir les femmes. »
Il s’est dit impressionné par la croissance de la campagne Moose Hide. Selon lui, la GRC continuera de soutenir la campagne et d’encourager davantage de divisions dans tout le Canada et d’autres organismes gouvernementaux à y participer, pour augmenter la portée de son message.
« La violence à l’encontre des femmes et des enfants ne connaît aucune frontière culturelle. Elle est présente partout », a-t‑il affirmé. « C’est un enjeu sur lequel tout le monde peut s’entendre pour dire qu’il est temps d’agir. »
» Parfois, on en entend parler dans les médias. Aujourd’hui encore, j’ai lu ce qui est arrivé à Marlene Bird [une survivante des pensionnats qui est décédée récemment des suites d’une attaque brutale]. J’ai été effondrée d’apprendre la nouvelle. Dans ma vie actuelle, je ne vois pas cette violence. Alors, des fois, on pourrait se demander si la campagne est vraiment nécessaire. Mais ensuite, mes élèves sont confrontés au problème, ou bien je lis des choses à ce sujet, et je me rends compte que cette campagne est vraiment nécessaire.
L’une des choses que j’en retire, c’est que je peux montrer à mes enfants le modèle d’une bonne relation et d’une vie saine. Je peux aussi leur apprendre à tous les deux qu’on ne doit jamais traiter quelqu’un de la sorte, et qu’ils ne doivent jamais se laisser traiter comme ça. Je ne peux pas changer le comportement des autres, mais je peux élever deux merveilleux enfants autochtones qui vont grandir et qui n’auront jamais ce type de vie. C’est ce que j’espère. «
Cara McKenna
Laura Beaulne-Stuebing
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