Par Vanessa Faloye, consultante, éducation axée sur l’impact social
NOTE: Cet article a paru à l’origine sur Whatamission et nous le reproduisons ici avec la permission de l’auteure.
On discute beaucoup des moyens dont l’éducation axée sur l’impact social peut élever la barre dans la formation des innovateurs sociaux. (Pour un examen critique du débat en cours par des experts en la matière, voir The Stanford Social Innovation Review: The Future of Social Impact Education in Business Schools and Beyond). Mais pour renouveler un peu la discussion, formulons d’abord à l’inverse la question Comment former des innovateurs pour l’impact social? afin de répondre à celle-ci : Qu’entendons-nous au juste par innovateur? À quoi ressemble l’innovateur, quel est son mode de pensée et comment se sent-il? Vous imaginez sans doute tout de suite des hommes jeunes, blancs, comme les fondateurs de jeunes pousses branchées comme Airbnb, Uber ou Bla Bla Car? Il est peu probable, de fait, que vous pensiez à Martin Luther King Jr et au mouvement des droits civils qui ont créé l’un des tout premiers systèmes d’autopartage au moment du boycottage des autobus de Montgomery (quand des Noirs ont refusé de monter à bord d’autobus où se pratiquait la ségrégation et qu’ils ont dû trouver d’autres modes de transport).
L’innovation a toujours cet air lisse et neuf… mais l’innovateur transgresse les règles; c’est une personne en quête de nouvelles occasions de repousser les limites, qui n’accepte pas les non. L’innovateur prend des risques, perturbe l’ordre établi malgré la résistance ou le refus si courant de sortir des sentiers battus. Ce n’est pas donné à tout le monde d’innover, mais la route des innovateurs est parfois jonchée de doutes, de frustrations et de rejets.
Alors, comment aider ces avant-gardistes, ces êtres indépendants et singuliers, à nous tirer de nos vieilles pantoufles rassurantes avec leurs idées bizarres et merveilleusement nouvelles, dans l’esprit de l’innovation sociale?
J’ai déjà donné un indice de la première pratique quand j’ai demandé à quoi peut ressembler un innovateur selon vous ou plutôt, à quoi il ne ressemble pas toujours. On a constaté que les équipes montrent une faculté d’innovation supérieure quand elles sont plus diversifiées et inclusives. À cet égard, il est important que les écoles, les universités et l’éducation non formelle créent des programmes accessibles à tous, privilégiés et non-privilégiés. Les cohortes doivent refléter et représenter les acteurs du changement sans égard à leur genre; leur classe sociale; la couleur de leur peau; leur culture; leur (in)capacité; ou leur niveau d’études – sans oublier des obstacles plus subtils comme le statut d’immigrant et la capacité de parler couramment l’anglais. L’éducation axée sur l’impact social doit toucher les personnes qui vivent le problème et qui en souffrent chaque jour, tout simplement parce qu’elles sont beaucoup plus susceptibles de résoudre ledit problème de façon créative et inventive, et de résister au choc de la mise en œuvre de leur solution. Les services d’éducation ne doivent pas reculer devant le défi d’autonomiser les laissés pour compte et les héros méconnus de notre écosystème local-mondial, mais plutôt trouver des moyens de toucher à la fois les perdants et les gagnants aux premières lignes – et en marge – de nos collectivités.

Crédit photo: Marcus Spiske
La deuxième pratique arrive après le recrutement et davantage pendant l’incubation proprement dite. Comme leur nom le suggère, les programmes d’incubateurs enveloppent les participants dans leur cocon pour les nourrir de toute la connaissance, la sagesse et l’inspiration dont ils disposent. Tout ce temps, les participants s’assoient, se lèvent, se rassoient – écoute, apprentissage, notes, idéation, réflexion conceptuelle, prospection de modèles d’entreprise… et bien d’autres éléments, espérons-le. On répète sans cesse à nos innovateurs en herbe que l’important, c’est d’agir, mais ils ont passé tout ce précieux temps à absorber et à parler plutôt qu’à apprendre en faisant les choses et en les exécutant. Bien sûr, ce n’est pas le cas de toutes les écoles axées sur l’impact social, mais c’est assez courant. Ici, le modèle CEAL (apprentissage par l’action entrepreneuriale axée sur la collectivité) fonctionne bien. Le modèle CEAL met les participants au défi de créer un projet d’équipe qui répond à un problème du milieu. C’est ainsi que les participants ne font pas que tester leurs connaissances, ils les mettent aussitôt en pratique. Ils s’habituent à agir, remporter de petites victoires, célébrer de petits échecs, changer de cap, accepter le feedback, prendre de l’assurance et dompter la peur – dans un environnement sûr qui les guide. Autrement dit, les éducateurs doivent penser aux moyens de créer une culture de l’action en créant un espace consacré à l’action.
La troisième pratique arrive après l’obtention du diplôme, quand nos innovateurs en herbe amorcent leur long et périlleux voyage dans l’inconnu. Cette étape particulière, que The Do School qualifie de phase de mise en œuvre, est un élément crucial du succès de tout innovateur ou entrepreneur pour l’impact social, parce que c’est la vraie vie. Nos jeunes pousses auront besoin sur une base continue de tous les conseils, tout le soutien et tout le mentorat assidu que peut offrir un programme de ressources. Ce n’est pas suffisant de faire partie d’un groupe Facebook. Les gens retournent à leur routine, à leurs problèmes et à leurs insécurités qu’ils ne publicisent pas forcément sur une page de média social, très vite désertée. Le mentorat (virtuel ou en personne) inspire la motivation, favorise l’évaluation et exige la reddition de comptes. Il rétablit également l’équilibre entre l’importance souvent accordée aux compétences lourdes acquises pendant l’incubation (stratégie de marque, gestion d’équipe et mesure de l’impact) et les compétences de survie (persévérance, courage et connaissance de soi), de plus en plus essentielles dans la mise en œuvre, et qui sont l’ancrage de tout innovateur ayant survécu pour en témoigner. Les éducateurs doivent s’inspirer de la méthodologie de mentorat de The Do School et comprendre que la courbe d’apprentissage des participants ne dépend pas d’abord du contenu, mais bien du contact.
Ceci n’est évidemment pas une liste définitive des meilleures pratiques en matière de formation des innovateurs, qui assure à tout coup leur survie et leur succès. L’essence même de l’innovation, c’est que rien n’est jamais définitif – et que rien ne doit jamais l’être non plus. Quand on cultive l’innovation, le plus important reste toutefois de nourrir les idées, la curiosité, la réflexion et l’instinct toute une vie durant. Ici, ce n’est pas seulement la responsabilité de l’établissement scolaire d’avoir une longueur d’avance, c’est plutôt la responsabilité collective de notre société de créer un environnement plus habitable… que nos innovateurs vont inévitablement finir par perturber.