Blogue d’invité par Dan Woynillowicz, Directeur des politiques, Clean Energy Canada. Note : Cet article a été publié à l’origine sur le site Options Politiques. Il est affiché ici avec la permission de l’auteur.
Alors que le nouveau gouvernement fédéral prend connaissance de ses dossiers, voici comment le Canada peut s’assurer d’être concurrentiel et prospère dans un monde qui adopte l’énergie propre. (Partie 1)
Maintenant que la plus longue campagne électorale fédérale depuis plus d’un siècle est derrière nous, notre nouveau gouvernement a le mandat clair de mettre en œuvre un programme sur les changements climatiques et l’énergie propre. Les libéraux du premier ministre désigné Justin Trudeau ont basé leur campagne sur un programme qui reconnaît que la protection de l’environnement et la prospérité économique doivent aller de pair et qui considère une infrastructure d’énergie propre comme une solution clé aux changements climatiques. Son gouvernement majoritaire doit trouver la meilleure façon de tirer profit du potentiel immense du secteur de l’énergie propre du Canada, tout en renouvelant l’engagement du pays à montrer l’exemple en matière de climat.
Le défi sera de taille, compte tenu du fait que le Canada est une économie axée sur les ressources et l’un des premiers fournisseurs mondiaux de combustibles fossiles. Cependant, en juin dernier, en Allemagne, le Canada et ses homologues du G-7 se sont engagés à assurer la décarbonisation complète de l’économie mondiale d’ici la fin du siècle.
Pour atteindre cet objectif, le monde entier devra délaisser les combustibles fossiles pour faire place à l’énergie propre. Cette révolution énergétique est déjà en marche, même au Canada.
Le système énergétique mondial évolue rapidement. Chaque année, Clean Energy Canada réalise deux évaluations, l’une à l’échelle mondiale et l’autre à l’échelle nationale, toutes deux intitulées Tracking the Energy Revolution. Bien que nous suivions tous les jours l’évolution des technologies de l’énergie ainsi que les politiques et les investissements gouvernementaux en la matière, le rythme effréné et la portée de la transition vers l’énergie propre ne sont apparents que si l’on prend du recul pour examiner les tendances, les moments et les jalons clés :
- Des investisseurs ont injecté 295 milliards de dollars des États?Unis dans des projets de production d’énergie renouvelable en 2014, une augmentation de 17 % par rapport à 2013.
- L’année dernière, la valeur de l’ensemble du marché de l’énergie a augmenté pour passer à 788 milliards de dollars des États?Unis (y compris les immeubles et les véhicules).
- Le prix des technologies solaires et des systèmes d’accumulateurs perfectionnés a continué et continuera de baisser.
- Les États?Unis et la Chine ont signé une entente inédite de coopération en matière de climat et d’énergie propre.
- L’Inde s’est donnée comme objectif d’établir une capacité d’électricité renouvelable de 175 gigawatts d’ici 2022. (À titre comparatif, la capacité du réseau canadien était de 127 gigawatts en 2013.)
- D’ici quelques années, un prix sur la pollution par le carbone s’appliquera à plus de la moitié de l’économie mondiale.
De nombreux Canadiens trouveront ces faits surprenants, ce qui est compréhensible compte tenu du peu d’attention habituellement portée à de telles histoires sur la Colline du Parlement, sur Bay Street ou dans les nouvelles. En tant que nation, nous continuons en grande partie de considérer l’énergie comme une forme de marchandise (pétrole, gaz, charbon, uranium) plutôt que comme un ensemble de technologies et de services perfectionnés, et ce, à notre propre détriment économique.
Même si les combustibles à base de carbone constituent encore une part importante du système énergétique mondial pour les décennies à venir, leur prépondérance et leur longévité sont de plus en plus incertaines. À l’inverse, nous savons que les pays qui ouvrent la voie à l’énergie propre (en développant de nouvelles technologies et de nouveaux services ainsi qu’en les déployant chez eux et en les exportant) peuvent en tirer des avantages économiques et environnementaux et qu’ils deviendront les chefs de file du 21e siècle en matière d’énergie.
Alors que les nouveaux ministres fédéraux examinent leurs cahiers d’information et que l’administration cherche les meilleures orientations en matière d’énergie, d’économie et d’environnement, voici cinq solutions permettant au Canada d’être concurrentiel et prospère, à court terme et dans un avenir moins pollué par le carbone.
#1 : Se faire le défenseur du climat et de l’énergie propre, à l’étranger comme chez nous
L’avenir appartient à ceux qui se montrent proactifs. Autrefois acteur clé des négociations ayant mené au Protocole de Kyoto, le Canada est aujourd’hui en queue de peloton en matière de climat. Il est dorénavant de la responsabilité des provinces et des territoires d’établir les objectifs visant à limiter les gaz à effet de serre, et surtout de les atteindre. En la matière, l’Ontario, la ColombieBritannique et le Québec, suivis de près par l’Alberta, ouvrent la voie. Pour participer à la transition mondiale vers un avenir où règne l’énergie propre, le Canada doit, plus que jamais, prendre la défense du climat et de l’énergie propre.
La prochaine COP21 à Paris est l’occasion pour le gouvernement fédéral de montrer qu’il est un acteur majeur du progrès lors des négociations internationales sur le climat et de se défaire de son image de dinosaure. Il n’y a pas de preuve plus concrète de la montée de la diplomatie climatique que la déclaration commune entre les ÉtatsUnis et la Chine sur les changements climatiques. Celle-ci réunit deux des plus grands pays émetteurs de carbone au monde, qui collaboreront à l’élaboration d’un protocole international ayant valeur de règle juridique exécutoire et visant à réduire les émissions de carbone.
Au-delà du domaine climatique, si le Canada souhaite jouer un rôle dans le dossier de l’énergie propre, il doit d’abord se montrer proactif. Nous pouvons commencer par joindre d’autres pays à titre de membre de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables et jouer un rôle de chef de file au sein de Clean Energy Ministerial, deux forums dont le Canada est notoirement absent.
Selon le premier ministre désigné Justin Trudeau, les prochains pourparlers sur le climat aux Nations Unies sont l’occasion rêvée pour le fédéral et le provincial de faire front commun afin de « réduire nos émissions de façon importante et de montrer que le Canada est prêt à collaborer pour empêcher une augmentation de deux degrés de la température, qui mènerait le monde à sa perte » [traduction libre]. M. Trudeau s’est également engagé à inviter tous les premiers ministres du Canada à se joindre à lui à Paris.
Cette nouvelle approche d’Ottawa aux efforts mondiaux en matière de climat est à la fois bienvenue et opportune. De plus, elle reflète les attentes d’une majorité croissante de Canadiens qui souhaitent davantage de leadership fédéral en matière de changements climatiques.
Bien entendu, le gouvernement fédéral ne doit pas se contenter de défendre le climat et l’énergie propre à l’étranger, il doit aussi le faire à l’intérieur de ses propres frontières. Bien que les provinces soient responsables des décisions en matière d’énergie, le gouvernement fédéral peut jouer un rôle essentiel en facilitant une meilleure collaboration interprovinciale. En effet, il peut optimiser le réseau électrique canadien en augmentant les connexions interprovinciales, aider à l’élaboration d’une entente d’« efforts partagés » de réduction de la pollution climatique harmonisée à nos objectifs nationaux ou mettre en œuvre la Stratégie canadienne de l’énergie élaborée par les premiers ministres canadiens.
2 : Inciter à l’utilisation d’énergie propre et dissuader de polluer par le carbone
C’est peut-être un cliché, mais cette politique fonctionne : toute bonne boîte à outils servant à lutter contre les changements climatiques devra contenir la bonne combinaison de mesures de dissuasion visant à diminuer la pollution par le carbone et de mesures d’incitation visant à développer une économie forte et prospère pour l’avenir.
Commençons par les mesures d’incitation.
Nous devons renouveler et augmenter le financement des Technologies du développement durable du Canada (TDDC). L’organisme a investi 740 millions de dollars en innovation des technologies propres, soutenant ainsi une industrie qui emploie 50 000 Canadiens. La hausse de l’investissement fédéral dans ce fonds distinct continuera de faire croître l’industrie, de soutenir la commercialisation des technologies et d’aider le Canada à devenir un chef de file en matière d’énergie propre (nous y reviendrons à la partie 2).
Ajouter à cela un fonds pour l’infrastructure de l’énergie propre. La lutte contre les changements climatiques exigera une transition des combustibles fossiles vers l’énergie propre comme source d’énergie, et le Canada dispose d’une grande quantité de ressources d’énergie propre. Un fonds national consacré à la création d’une infrastructure d’énergie propre (comme la modernisation de l’infrastructure d’électricité au pays, la création d’un secteur d’énergie renouvelable fort, l’électrification du transport en commun et le soutien à la collaboration interprovinciale) accélérera la transition du Canada vers l’énergie propre.
Les libéraux se sont engagés à augmenter l’investissement du Canada dans les développeurs de technologies propres établis (y compris les TDDC) de 100 millions de dollars par année, à collaborer avec le secteur privé afin d’investir davantage de capital de risque dans les technologies propres et à élargir l’infrastructure d’énergie propre pour en augmenter la production. Ils ont aussi promis de créer un fonds d’une valeur de 2 milliards de dollars pour soutenir les projets visant à réduire les émissions de carbone. Il semble donc que le nouveau gouvernement fédéral ait une bonne connaissance des mesures d’incitation à sa disposition.
Abordons maintenant la mesure de dissuasion la plus efficace, soit la fixation d’un prix pour le carbone.
À l’échelle mondiale, 39 territoires de compétences nationaux et 23 territoires de compétences sous-nationaux ont mis en œuvre ou prévoient mettre en œuvre des programmes de fixation des prix pour le carbone. Au cours des deux prochaines années, plus de la moitié des produits intérieurs bruts (PIB) mondiaux seront assujettis à des prix pour le carbone, y compris trois provinces canadiennes, qui contribuent à plus de 70 % du PIB canadien.

Les nations représentant près de la moitié de l’économie mondiale ont fixé un prix sur le carbone ou se sont engagées à le faire. Source : Clean Energy Canada, Tracking the Energy Revolution 2015. (trackingtherevolution.ca)
Le gouvernement fédéral doit tenir les promesses faites par les libéraux lors de leur campagne de coordonner à l’échelle nationale la fixation du prix du carbone. De plus, il doit s’assurer que le prix est assez élevé pour inciter à réduire les émissions et trouver un équilibre entre d’une part, les préférences et les systèmes provinciaux, et d’autre part l’objectif global d’adopter une méthode nationale efficace et harmonieuse. Si le Canada atteint cet objectif, il améliorera sa compétitivité économique et sa réputation à l’échelle mondiale tout en réduisant les « fuites de carbone » (soit le transfert des activités économiques d’un territoire de compétences où le prix du carbone s’applique vers un territoire où il ne s’applique pas).
Bien que le prix du carbone soit un élément central de la lutte contre les changements climatiques, il doit être complété par des politiques et des règlements supplémentaires. Par exemple, bien qu’une grande partie de la décarbonisation du système électrique du Canada puisse être réalisée en augmentant l’offre d’énergie renouvelable, il pourrait rester une place pour l’énergie au charbon et au gaz naturel, tant que celle-ci intègre la technologie du captage et du stockage du carbone (CSC). L’expérience montre que le prix du carbone ne peut, à lui seul, constituer un incitatif assez efficace pour encourager les entreprises à investir dans le CSC. Dans ce cas, si le charbon et le gaz continuent de faire partie des ressources énergétiques du Canada, il faudrait adopter des règlements obligeant à ne pas dépasser un certain niveau d’émissions, objectif ne pouvant être atteint que grâce au CSC.
Maintenant que les libéraux disposent d’une confortable majorité, il est temps pour eux d’établir les mesures à prendre pour permettre au Canada de retrouver sa réputation et de tirer profit de son potentiel d’énergie propre. Les deux premières étapes que nous avons définies aideraient le nouveau gouvernement fédéral à donner le meilleur de lui-même.
Cet article fait partie de la série En Route Vers Paris. Sur la route menant à la Conférence de Paris, nous avons créé une série d’article sur les initiatives pancanadiennes qui valorisent une économie faible en carbone. Dans cette série de blogues, nous avons invité des experts avec qui nous collaborons au sein dans le secteur ‘Économie et Énergie’ à partager avec nous leurs réflexions. Notre objectif est de soutenir ces initiatives qui visent à transformer le discours sur la question du climat pour illustrer tout ce que l’on gagne avec le développement durable.
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