Mon repas à 10,25 $
Samedi matin : le marché fermier de Dieppe aux alentours de Moncton bourdonne d’activité. Les étals débordent de produits locaux : légumes en abondance, fraises juteuses et confiture de bleuets, viande et fromage, vin et cidre de pomme. À l’aire de restauration, je prends un sandwich aux légumes (5 $) et mon fils, une petite boîte de dumplings (5 $). Nous partageons un frappé aux fraises (5,50 $) et deux muffins (5 $). Pour 10,25 $ chacun, nous avons savouré un délicieux repas préparé sur place et largement composé d’ingrédients locaux.
Du marché fermier à la cantine scolaire
Ce marché prospère est géré par La récolte de chez nous, une coop de 30 agriculteurs du sud-ouest du Nouveau-Brunswick. Depuis deux ans, la coop fournit en légumes et en viande le Réseau des cafétérias communautaires, qui a obtenu le contrat de gestion de 25 cantines scolaires dans un district scolaire francophone de la province.
Grâce à la créativité et à l’esprit d’entreprise des deux dirigeantes, Rachel Allain et Rachel Schofield Martin, plus de 55 % des aliments servis dans leurs cafétérias sont des produits locaux. Elles offrent aussi des visites à la ferme et une formation par des chefs au personnel de cuisine; un service de traiteur étudiant pour les événements spéciaux; et des camps d’été en cuisine pour les jeunes.
Plus de ventes, plus d’emplois, plus d’aliments sains
À La récolte de chez nous, la croissance ne ralentit pas. Les achats du Réseau ont augmenté de près de 60 % dans la dernière année scolaire et le volet distribution du groupe est en train de doubler la taille de son entrepôt en vue d’approvisionner un autre district scolaire, géré celui-là par la multinationale des services alimentaires Chartwells (une division de Compass Foods). Les directeurs Mathieu D’Astous et Patrick Henderson énumèrent les fermes membres qui ont grandi avec la coop, augmentant ainsi les superficies de culture et les emplois offerts.
En plus d’accroître les ventes des agriculteurs à la coop, le projet offre d’autres avantages pour l’économie locale : stabilité accrue des emplois pour les femmes qui travaillent dans les cuisines scolaires; plus d’activité bancaire à la caisse populaire locale; et achat d’assurances auprès d’une entreprise locale. Une étude de l’économiste Pierre Marcel Desjardins démontre que l’impact socioéconomique du Réseau des cafétérias communautaires approchait les 4 millions $ pour l’année scolaire 2013-2014.
Soucieux de la santé des élèves, le Réseau a fait une priorité des aliments frais non transformés, même s’il faut parfois équilibrer préférences gustatives et ingrédients sains – revenir par exemple à la farine blanche plutôt qu’à celle de blé entier pour le poulet au four. Dans une comparaison récente du respect des lignes directrices de la province en matière de nutrition dans les menus des cantines scolaires du Nouveau-Brunswick, qui s’inscrit dans un projet des Diététistes du Nouveau-Brunswick en action et de la Société médicale du Nouveau-Brunswick, les programmes gérés par le Réseau figuraient en tête de liste, aux côtés d’une école du conseil scolaire des Premières nations.
Le plafond de 5 $
La valeur économique, sociale et environnementale du travail réalisé par le Réseau des cafétérias communautaires et La récolte de chez nous est évidente. Mais les contraintes le sont tout autant. Le prix d’un repas à la cantine scolaire n’a jamais dépassé 5 $ – un plafond apparemment difficile à briser malgré les coûts de production croissants. Avec un tel plafond, on ne peut envisager plus que le salaire minimum pour la plupart des employés, ni accroître le volume d’aliments produits localement selon des méthodes durables, même si leur prix est à peine plus élevé que celui des réseaux de distribution plus étendus. Sans le portefeuille bien garni dont disposent les grandes sociétés, l’équilibre financier est souvent précaire.
Ce qui me ramène à mon lunch local à 10,25 $, et à la difficulté de changer les choses quand la hausse du prix (réel) ne peut être transférée au consommateur – un perpétuel problème pour des institutions comme les hôpitaux, les centres de soins de longue durée et les écoles. Même à l’ère des contraintes budgétaires, il faut trouver le moyen de reconnaître les multiples avantages des aliments sains produits localement de manière durable – et d’en payer le prix.
La récolte de chez nous et le Réseau des cafétérias communautaires sont des titulaires de subventions de la Fondation pour les programmes Chaînes de valeur régionales et Alimentation institutionnelle, dans le cadre du volet Systèmes alimentaires durables.