Area One Farms : assurer la survie de la ferme familiale

Area One Farms gère des fonds de capital-investissement dans le secteur canadien des terres agricoles. L’entreprise s’associe avec des agricultrices et des agriculteurs établis pour acheter des terres agricoles hors marché, permettant ainsi à des fermes familiales d’améliorer leur rendement financier tout en incorporant des pratiques durables. L’entrevue réalisée avec la fondatrice et PDG Joelle Faulkner a été abrégée pour des raisons de longueur et de lisibilité.

Expliquez-nous le modèle opérationnel de Area One Farms. Comment permet-il de générer des revenus?

Area One Farms s’associe avec des agricultrices et des agriculteurs canadiens qui gèrent principalement des fermes familiales et souhaitent accroître leur exploitation. Nous trouvons habituellement une propriété adjacente à vendre, souvent détenue par un agriculteur ou une agricultrice prenant sa retraite, et nous les aidons à acheter celle-ci. Nous devenons alors, pour un temps limité, actionnaires de la nouvelle ferme.

La production agricole représente notre source annuelle de revenus, p. ex. le blé, le canola, l’avoine ou d’autres cultures. Nous aidons d’abord à payer tous les frais et nous distribuons ensuite les gains aux investisseuses et investisseurs. L’augmentation de la valeur de la terre est une autre source de revenus pour que celle-ci en vienne à dépasser la somme des investissements. La période d’investissement est d’au moins 10 ans, ce qui signifie que les améliorations apportées à la terre en augmentent la valeur. D’un point de vue historique, les terres agricoles canadiennes ont toujours pris de la valeur, habituellement en raison d’avancements technologiques permettant de rendre la terre plus productive. L’amélioration de la terre augmente encore plus le gain de valeur.

J’ai une ferme dans le sud de l’Ontario et comme bien d’autres fermes dans cette province ou au Québec, elle est en général bien aménagée. Mais la situation est très différente dans d’autres régions du Canada. Des fermes avaient dû cesser leur production, car les gens de la région avaient plutôt choisi de travailler dans des mines ou des usines de traitement. Elles avaient donc été envahies par des broussailles, des fardoches et des arbres, et ces derniers avaient fait l’objet d’une coupe et laissé des traces de culture sur brûlis. Nous avons broyé le bois pour l’incorporer au sol et prévu un drainage pour éliminer l’excès d’humidité. Il s’agit souvent de drainage de surface dans l’ouest du Canada et de drainage souterrain dans le nord de l’Ontario. Cela augmente la productivité. Au bout du compte, cela augmente aussi les revenus annuels ainsi que la valeur ultime de la terre.

 

Area One Farms aide les fermes à se développer. Dans quel but? Pourquoi est-ce utile pour les agricultrices ou les agriculteurs, leur famille et le Canada?

Historiquement, les fermes restent dans la même famille d’une génération à une autre, l’aîné en assurant typiquement la gestion. Les autres enfants trouvent du travail dans différents domaines et reçoivent un soutien familial sous une autre forme.

Lorsqu’on prend une ferme qui soutenait une famille et qu’on la divise entre trois enfants et leur famille, il faut des revenus annuels plus élevés pour faire vivre tout le monde. Nous voulons donc faciliter ce transfert intergénérationnel, en nous assurant que les fermes puissent se développer et générer plus de revenus et, ultimement, une plus grande valeur foncière.

La bonification des terres est très utile pour le Canada, car elle augmente la productivité économique et le PIB local. Surtout aujourd’hui, alors que d’autres industries doivent ferme, l’agriculture demeure un moyen stable d’offrir des biens de valeur du Canada. Plus de terres pour y arriver veut dire plus d’argent pour les communautés locales.

Vous avez réussi à gagner la confiance et le respect de communautés agricoles locales. Pourquoi est-ce important de cultiver ces relations?

Nous pensons que les partenariats locaux sont indispensables pour les investisseuses et investisseurs et la communauté locale. Notre modèle est unique. Nous mesurons le succès en fonction du nombre de nos partenaires ayant augmenté leur salaire de subsistance, d’une hausse des revenus annuels et du nombre de familles avec qui nous faisons équipe.

Les fermes canadiennes sont particulièrement efficaces. Elles sont normalement détenues par une même famille depuis quatre générations. Cela veut dire que les agricultrices ou les agriculteurs possèdent un grand savoir, d’excellentes relations à l’échelle locale et de la machinerie et des technologies adéquates. Selon nous, conserver ce savoir et ces relations localement permet de mieux servir les communautés.

Vous pouvez comparer notre modèle à une des autres solutions possibles, c’est-à-dire louer des terres. Ce que nous observons, c’est une hausse de la valeur foncière. Les gens ont à cœur de protéger la terre et de la rendre plus résiliente lorsqu’ils sont propriétaires, comme dans le cadre d’un partenariat. Cela peut vouloir dire plusieurs choses. La quantité de carbone dans le sol augmente, améliorant ainsi la qualité du sol, mais aussi la biodiversité.

Comment la stratégie de Area One Farms pourrait-elle aider les efforts du Canada en matière de durabilité? Peut-elle jouer un rôle significatif pour lutter contre les changements climatiques?

La réponse à cette question dépend du rôle que l’agriculture jouera dans les systèmes plus vastes qui tentent d’amorcer un changement. Est-il possible de réduire les émissions grâce à l’agriculture? Est-il possible d’accroître la séquestration du carbone dans le sol?

Pour répondre à cette dernière question, il faudra rendre la machinerie plus faible en carbone et remplacer les engrais azotés riches en carbone. De nombreuses études sont en cours en ce moment pour trouver comment y arriver.

Les fermes canadiennes sont bonnes pour séquestrer le carbone dans le sol. La meilleure façon consiste à garder les racines dans le sol et à ne pas labourer celui-ci. Il n’y a aucun labourage sur une grande partie des terres et dans toutes les fermes de l’ouest du Canada. Nous savons aussi que l’agriculture régénératrice est très prometteuse. Celle-ci implique de planter plusieurs cultures dans un même champ, d’une façon qui permettra à certaines cultures de fournir de l’azote à d’autres. Cette méthode entraîne des taux de maladie moins élevés, une meilleure absorption des nutriments et un besoin réduit de nutriments provenant de sources externes.

Nous pouvons aider en facilitant le transfert de savoir et en le faisant rapidement. La science se concentre sur la façon de réduire les émissions de carbone et accroître la séquestration dans le sol. Les connaissances manquantes renvoient aux procédures. Par exemple, si on cultive plusieurs cultures dans un même champ, comme l’assurance récolte fonctionne-t-elle? Comment sépare-t-on les rendements pour obtenir assez de crédit pour ce qu’on cultive? Parce qu’autrement, le système de gestion du risque s’effondrerait. Nous pouvons aider à ce que les apprentissages relatifs à ces questions importantes puissent être transférés d’une ferme à l’autre.

Comment le fonds géré par Area One Farms et l’impact voulu ont-ils évolué depuis la création de l’entreprise?

À nos débuts, nous étions préoccupés par la planification de la relève. Comment pouvions-nous aider une ferme familiale à se développer pour en venir à soutenir plusieurs familles? Il y a plusieurs mesures de succès que nous n’avions pas encore découvertes à l’époque, notamment le nombre d’employés gagnant un salaire de subsistance et le nombre de familles ayant des incitatifs pour poursuivre l’agriculture et créer de la richesse. De plus, nous n’avions pas anticipé la grande possibilité que représentait la bonification des terres (c’est-à-dire transformer des terres autrefois agricoles ayant été laissées en friche en terres de nouveau arables). Cette méthode représente aujourd’hui la moitié de nos activités.

Nos travaux de bonification sont très bien alignés avec les mandats gouvernementaux, puisqu’ils fournissent du travail dans des régions autrement assujetties au cycle d’expansion et de ralentissement créé par l’industrie minière et d’autres industries d’extraction de ressources naturelles. L’Ontario et le Manitoba ont conçu des programmes pour appuyer la bonification des terres, et l’Alberta semble se diriger dans la même direction.

Photo by Priscilla Du Preez on Unsplash