Comment passer des crises aux opportunités ? Medellín: laboratoire de l’urbanisme social

Par Léa Champagne
C’est durant le Forum Urbain Mondial à Medellín en avril dernier que la grande communauté de l’urbain a (re)pris conscience des mutations urbaines hors normes en cours en Colombie, plus particulièrement dans la capitale de la région d’Antioquia, Medellín.
Au début des années 2000, l’iconoclaste Sergio Fajardo prend les reines de la mairie de la capitale et assume dès lors l’avènement de profondes transformations urbaines après plus de 20 ans de violence tenace ; un laboratoire d’innovation sociale voit alors le jour. Et c’est précisément par l’urbanisme social qui fait son chemin sous l’égide de partenariats, basés sur la collaboration et l’interdisciplinarité, qu’il se déploie sur le territoire, largement fragmenté par la pauvreté et sa morphologie unique.

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Photo de Medellín: Léa Champagne

Le concept de processus a été fondamental – et continue de l’être – pour enclencher et mener à terme les projets urbains intégraux (PUI), soit trois types d’interventions propulsés par les nouveaux acteurs de la ville. Elles sont sociales, physiques et institutionnelles, elles doivent offrir une réponse novatrice à la complexité des êtres humains qui habitent et façonnent le territoire, elles sont avant tout holistiques. Depuis la définition du problème jusqu’à la réalisation des projets, la revitalisation des espaces marginalisés est devenue l’affaire de tous; une culture de l’inclusion s’est manifestement imbriquée dans le développement. Au lieu de miser sur la revitalisation du centre-ville, les élus de l’époque Fajardo se sont attaqués aux secteurs défavorisés et déconnectés physiquement des opportunités de la ville en raison de leur emplacement géographique en milieu escarpé et à risque vu la nature instable de l’environnement (glissement de terrain, déforestation, assèchement des cours d’eau). Qui plus est, c’est un investissement majeur dans la qualité de vie et l’équité socioterritoriale qui se voit géré durablement – c’est le troisième pilier du PUI, par un organisme lié à la communauté, afin que les habitants s’approprient la transformation, la préservent et l’amplifient. La coordination des interventions, allant de la structure économique productive au tissu social en passant par les PUI, est en quelque sorte la réponse que l’on cherchait depuis longtemps, raconte le maire sortant, Anibal Gaviria Correa.
Si c’est la réforme de la pensée sous-jacente à la transformation urbaine qui en a fait un modèle singulier de développement urbain, l’éducation à la responsabilité sociale des habitants à travers un questionnement permanent sur le qui, le comment et le pourquoi, par rapport au changement, à l’usage et à la consommation dans la ville, en a constitué le pilier fondateur.
Le dernier-né de cette série de transformations est un projet de corridor vert. Alejandro Echeverri, architecte engagé dans la transformation de l’aire métropolitaine de Medellín, n’a pas peur de dire que « le défi réside dans le changement de paradigme de notre relation à la nature. Elle n’est pas un obstacle au développement urbain, mais plutôt un prérequis pour que celui-ci se déploie harmonieusement »[1]. Plus près de chez nous, pensons à la High Line de New York, et pourquoi pas la route bleue de Montréal (ou celle du Québec) ayant permis la revalorisation des milieux maritimes.
Incluant le territoire, l’équilibre environnemental, les contributions et les expériences des personnes qui l’habitent, soit autant les dimensions objectives que subjectives de l’espace urbain, on a l’impression que quelqu’un a enfin mis à profit les fondements théoriques de la géographie en alliant territoire et société. Je ne peux que me réjouir de ces premiers pas et espérer qu’ils en inspireront d’autres.
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Photo de Medellín: Léa Champagne

[1] Alejandro Echeverri R., « Ilusión », http://www.elcolombiano.com/BancoConocimiento/I/ilusion/ilusion.asp
À propos de l’auteure:
Candidate à la maîtrise en géographie, Léa Champagne a fait des villes son sujet de prédilection. Elle travaille à titre d’agente de recherche au Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) et dans le cadre de sa maîtrise en géographie, elle s’intéresse à la participation des citoyens à la planification de l’habitat urbain, plus spécifiquement à la mobilisation des savoirs. Ce billet de blogue a été rédigé à la suite d’un séjour à Medellín en Colombie dans le cadre du 7e Forum urbain mondial des Nations Unies-Habitat. Cette participation a été possible grâce à l’appui du Centre d’écologie urbaine de Montréal.